
Édito de Margaux #1 : Élections européennes
NIQUE PAS TA MER
Expression empruntée aux pancartes lors de la Marche du Siècle pour le climat (16 mars 2019)
Osons tout, c’est à ça qu’on nous reconnaîtra !
Pour quelqu’un qui est plus Karl Marx que Lagarfeld, qui dans l’association est celle qui « bouffe » du rapport et du Eur-lex[1] à tous les repas, et qui a parcouru le champ universitaire pendant plus de cinq ans, j’ai décidé de faire preuve d’un peu plus d’audace[2] et de ne pas rédiger un article bien propre, froid, ou technique – cela arrivera en temps et en heure. Au contraire, il s’agit d’apporter de la chaleur. Non pas parce que nous sortons d’un hiver météorologiquement chaotique. Toutefois, socialement, si certains considéreront que cela explose ici ou que cela bouillonne là, il y a un réchauffement manifeste. Un simple retour sur l’année 2018 et le début 2019 – ce qui est une prise de recul aux petits pieds j’en conviens – nous permet déjà de voir que pavés, plages[3] et pelouses de ronds-points ont reçu leur lot de pieds bravant tant les précipitations pluvieuses que celles des régiments de CRS[4]. Des forces parfois diamétralement opposées font jour, tandis que d’autres se diffusent et se renforcent. Sans entrer dans les différentes composantes de ces mouvements puisque cela nécessiterait le cadre d’une thèse (passionnante) en Sciences Humaines et Sociales, le premier constat que je peux faire est celui du lien. Qu’il soit créé, découvert, renforcé, cassé, cette notion de lien social, de lien idéologique, est prépondérante ; pour ne pas dire qu’elle crève les yeux, et les cœurs. Ainsi, j’espère que, de ces mouvements, la répression, les corps mutilés, les esprits cassés ne seront pas ce que le roman national retiendra, et encore moins la vie même de la cité toulousaine, française, européenne. L’échéance des élections européennes approchant, l’angle choisi pour ce premier article sur le thème des enjeux des ressources maritimes et l’Union Européenne (UE) est de participer à la création de lien et à une prise de conscience. En effet, les mobilisations collectives ont rapidement eu pour conséquence d’engendrer une “discute”[5]. C’est pourquoi en tant qu’association promouvant la protection des milieux marins, il nous faut entretenir, voir se saisir, de ce moment particulier.
De fait, les élections des parlementaires européens ont été boudées par la moitié des électeurs français depuis leur mise en place en 1979, avec une participation souvent inférieure à 50%[6]. Les médias et partis politiques nationaux ont leur part de responsabilité dans ce désintérêt puisque la couverture des enjeux propres aux élections européennes restait jusque là infime comparée aux scrutins nationaux. Néanmoins, les dirigeants politiques et économiques européens auront été d’avantage remis en question pour ce scrutin 2019 que pour les précédents[7]. Arrivée au pouvoir des populistes et de l’extrême droite, Brexit, mouvements de « gilets jaunes », manifestations contre les violences faites aux femmes, grèves lycéennes et étudiantes pour le climat, marches pour le climat, les élections européennes demeurent donc un canal possible (pas le seul) d’expression des mobilisations récentes. Il y a porosité des actions et des enjeux entre les frontières des 27 (Royaume-Uni inclus), or nous avons la chance de pouvoir agir directement au niveau supranational du gouvernement.
A vos bulletins !
Pourquoi voter aux européennes ? Me direz-vous. [Pourquoi voter tout court ? Nous digressons.] Et bien parce que le Parlement Européen est constitué de 705 eurodéputés directement élus par les citoyens des pays de l’Union. Le nombre de députés est réparti proportionnellement selon le poids démographique de chaque pays membre. Ainsi, par exemple, les Français sont représentés par 79 parlementaires européens, les Polonais 52, et le Danemark 14[8]. Oui, jusqu’en 1992 avec le traité de Maastricht (puis le traité d’Amsterdam en 1999), le Parlement Européen aurait pu être confondu avec une belle plante au milieu des autres institutions. Mais une très belle plante. Désormais, la grande majorité des procédures législatives européennes ne peuvent être prises sans le vote des eurodéputés (la procédure législative ordinaire)[9]. Autrement dit, la Commission Européenne et les États (au sein du Conseil de l’Union) ne peuvent faire cavaliers seuls et ignorer l’avis, ou le vote, du Parlement Européen. Nous disposons donc d’un pouvoir législatif réel, et à l’échelle de l’Union !
Il y a le ciel, l’Europe et la mer
Le lien entre les mouvements sociaux, les élections européennes, et la protection des milieux marins, vous ne le voyez toujours pas ? Regardons simplement les faits sur ce mois de mars :
- Au 6 mars 2019 (la date importe dans la mesure où les chiffres augmentent chaque jour), l’observatoire Pelagis du CNRS avait recensé 1 100 dauphins morts, échoués sur le littoral atlantique. Ça c’est le nombre pour plusieurs années, non ? Non. 1 100 dauphins ont été découverts sur les côtes depuis le 1er janvier 2019[10]. C’est un triste record. Le gouvernement « s’inquiète », au point que le ministère de la transition écologique commence tout juste à s’en s’émouvoir.
- 7 mars 2019, le Parlement Européen cède face aux industriels et préfère le productivisme (de court-terme) et la surexploitation des mers et des océans. En effet, la Commission PECH du Parlement vote à 19 voix contre 5 l’allocation d’aides financières à la construction et au renouvellement des flottes. Or ces aides ne favorisent pas la pêche artisanale ou encore l’établissement de jeunes pêcheurs. Elles engendrent une augmentation de l’effort de pêche, et donc la surpêche – et c’est une étude de l’OCDE qui l’affirme, pas l’organisation internationale la plus réfractaire au libéralisme[11]. Par conséquent, les fonds européens seront alloués au financement de l’appauvrissement des océans, tandis que ceux destinés à la protection de l’environnement marin, et à la surveillance de l’activité de pêche et la collecte de données scientifiques, seront fortement réduits.
- 12 mars 2019, le navire italien Grande America sombre au large de La Rochelle. Ce sont 2200 tonnes de fioul lourd, 365 conteneurs dont 45 répertoriés avec des matières dangereuses, et 2000 véhicules, déversés dans l’océan – les nappes d’hydrocarbure ont touché la Gironde dès le 16 mars, et menacent toute la façade atlantique européenne[12]. C’est donc, encore une fois[13], l’écosystème qui trinque ! Oiseaux, poissons, crustacés (ah les belles journées de pêche à pieds !), ostréiculture, conchyliculture, fleur de sel, etc – les vacances à l’Île de Ré ne vont pas avoir les mêmes couleurs cette année, je pense à du noir.
Ainsi un bref retour sur ce mois de mars met en lumière le lien entre des enjeux écologiques, sanitaires, économiques évoqués plus haut (et revendiqués dans les rues depuis des mois) qui nous touchent tous en France, mais qui peuvent être régulés par les institutions européennes. Or la France dispose du territoire maritime le plus grand au monde tout autour du globe. C’est un atout stratégique militaire, un atout économique, mais aussi une richesse immense en termes de biodiversité ! Si le poids de la représentation française au sein de l’UE n’est pas négligeable, l’enjeu de la protection des océans et de leur gestion durable, l’est tout autant. Et certaines actions, initiées par la société civile (nous, vous), décrochent des victoires, font avancer le cadre législatif dans un sens plus respectueux de l’environnement et de l’humanité – tel que la reconnaissance de l’illégalité de la pêche électrique en Europe[14], ou des lois inspirantes dans l’Oregon et en Californie avec l’interdiction d’utilisation des pailles en plastique, sacs à usage unique. Que l’on soit pour une certaine Europe, contre une autre, ou piéton, l’étape suivant la discussion, la rencontre, et l’écoute, c’est s’informer. Pour ne pas laisser ces marches collectives errer et non-entendues ; nous pouvons impacter la société (de ce qui se retrouve quotidiennement dans notre assiette à l’organisation de l’économie). Et les possibilités foisonnent à toutes les échelles : voter, s’impliquer dans sa commune, se renseigner sur le travail d’associations locales ou les grandes ONG, soutenir des projets à fort impact social et environnemental positif (c’est-à-dire, en jargon dans le texte, qui prennent en compte l’humain et ce qui l’entoure), porter des idées.
Ambassade des Océans, s’engage et organise un débat le 20 avril prochain, à Cherbourg (Hotel de Ville), pour aborder ces question de l’Europe et de la mer: pour plus d’informations Cliquez ici
Margaux!
[1] Site internet référençant le droit européen, les jurisprudences européennes et nationales, et autres documents publiques des institutions de l’Union Européenne, disponibles dans toutes les langues officielles de l’union. < https://eur-lex.europa.eu/homepage.html >
[2]“Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée”, Danton alors Ministre de la Justice au sein du Conseil exécutif, accusé d’avoir laissé faire les massacres de septembre 1791, harengue l’Assemblée afin de riposter contre l’avancée des forces contre-révolutionnaires lancées sur Paris.
Danton, 2 septembre 1792, < http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-moments-d-eloquence/danton-2-septembre-1792 >
[3] Olivier Servaire, « Rame pour ta planète : une belle mobilisation samedi », Surf Session, 3 mars 2019. < https://www.surfsession.com/articles/environnement/rame-ta-planete-belle-mobilisation-samedi-303199537.html >
[4] Le Monde, « Gilets jaunes : l’ONU demande à la France d’enquêter sur l’usage excessif de la force », 6 mars 2019. < https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/06/l-onu-demande-a-la-france-une-enquete-sur-l-usage-excessif-de-la-force-pendant-les-manifestations-de-gilets-jaunes_5432222_3224.html >
Amnesty International, « Un coup très dur au droit de manifester pacifiquement en France », 12 mars 2019. < https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/un-coup-tres-dur-au-droit-de-manifester-pacifiquement >
[5]F lorence Aubenas, « Gilets jaunes : la révolte des ronds points », Le Monde, 15 décembre 2018 < https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/15/sur-les-ronds-points-les-gilets-jaunes-a-la-croisee-des-chemins_5397928_3224.html >
[6]Direction de l’Information Légale et Administrative, “Les élections européennes intéressent-elles les électeurs ?”, 18 novembre 2016. < https://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/participation/voter/election/elections-europeennes-interessent-elles-electeurs.html >
[7]Caroline Broué, “Les médias face aux élections européennes”, La Fabrique médiatique, France Culture, 15 septembre 2018. < https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-mediatique/les-medias-face-aux-elections-europeennes >
[8]Nombre d’eurodéputés modifiés après la sortie du Royaume-Uni de l’UE (29/03/2019).
< https://europa.eu/european-union/about-eu/institutions-bodies/european-parliament_fr >
[9]Entre 1992 et 2009 (traité de Lisbonne), cette procédure était appelée “procédure de codécision”. Et avant Maastricht, le Parlement Européen n’avait qu’un pouvoir consultatif – la Commission et le Conseil de l’Union lui demandaient son avis.
[10]France Info, “Un niveau “extrêmement élevé” : 700 dauphins se sont échoués sur le littoral atlantique en 2019”, 6 mars 2019. < https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/biodiversite/un-niveau-extremement-eleve-700-dauphins-se-sont-echoues-sur-littoral-atlantique-en-2019_3220291.html >
Pour aller plus loin sur les raisons de ces échouages, Ambasse des Océans a exposé le sujet précédemment : “Echouages des cétacés : tout savoir !”. < https://ambassadeoceans.com/echouages-des-cetaces-tout-savoir/ >
[11]Martini, R., Innes, J. “Relative effects of fisheries support policies”, OECD Food, Agriculture, and Fisheries Papers, No. 115, OECD Publishing, Paris, 2018.
[12]Science et Avenir, “Naufrage du Grande America : une course contre la montre et contre la pollution”, 14 mars 2019. < https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/pollution/naufrage-du-grande-america-course-contre-la-pollution_132128 >
[13] 1967, Torrey Canyon ; 1975, Beohlen ; 1978, Amoco Cadiz ; 1989, Exxon Valdez ; 1999, Erika ; 2002, Prestige ; 2010, plateforme pétrolière “Deepwater Horizon” exploitée par BP au large de la Louisiane, USA.
[14]Bloom, “Victoire : la pêche électrique sera interdite en Europe en 2021”, 13 février 2019. < https://www.bloomassociation.org/victoire-peche-electrique/ >
2 COMMENTS
Bonjour Margaux, Merci pour cet article. Question très simple, qui implique de se jeter à l’eau. Selon toi, à titre personnel, quel programme (sur les 33/34) te paraît le plus intéressant par rapport à ce sujet qui est la biodiversité,la protection de l’espace maritime..? Pas évident de s’y retrouver avec tout ça..quand je vois une Claire Nouvian d’un côté (j’admire ce qu’elle fait), et d’autres groupement qui affirme s’atteler à la tâche (comme écolo par ex..)ou autre génération qui semble avoir des idées intéressantes… Je n’ai, je dois l’avouer, pas assez de temps pour tout éplucher..et vous m’avez l’air très bien renseigné à ce sujet..Ne serait ce que sur ce thème là bien précis.. Bien-sûr, la réponse ne l’enlevera pas l’analyse et le sens critique du reste du programme évoqué..Mais votre réponse m’intéresse. Merci
Bonjour Thibaut,
en tant que membre d’Ambassade des Océans, je préfère te répondre par email qu’en commentaire car le format de ce dernier n’est pas idéal. En attendant mon courriel, sache que oui, cela prend forcément du temps, et nécessite de savoir où regarder, pour se faire un avis sur les actions des listes en lisse pour les européennes. Et comme pour beaucoup de sujets, leur traitement par les politiques est visible dans leurs votes au sein du Parlement et des commissions parlementaires — et moins dans leurs plateformes électorales. Plusieurs associations ont prémâché ce travail, notamment Réseau Action Climat (https://observatoire-europe-climat.fr).