
Intelligence animale: les cétacés détrônent-ils les Hommes?
Comme vous l’avez sans doute remarqué, Ambassade des Océans vous propose une information soutenue autour des orques, espèce unique en son genre qui concentre à elle seule un nombre record d’impacts liés aux activités humaines. Il nous apparaît essentiel de continuer à vous en parler que ce soit dans un but d’approfondissement pour certains d’entre vous ou de découverte pour d’autres…
Les annonces récentes et successives alertant l’opinion publique sur le niveau de contamination des orques au PCB (molécules chimiques chlorés utilisées dans l’industrie), menaçant de conduire à une réduction de leur population de moitié, vient confirmer une précédente étude que nous avions déjà relayée dans notre article faisant état du niveau de pollution chimique chez les Dauphins de la Manche. Rappelons que les orques sont la plus grande espèce de la famille des dauphins et que les indicateurs touchant les dauphins, comme l’a démontré le GECC (Groupement d’Étude des Cétacés du Cotentin) touchent également les orques. Devant ces signaux alarmants, nous prenons parti de vous faire découvrir ces créatures sous un angle nouveau. Les dernières découvertes sont particulièrement stimulantes pour notre curiosité et notre empathie ; de quoi renouer avec le sens des responsabilités, ou plutôt…. Notre pouvoir et envie d’agir !
Dans cette optique, Ambassade des Océans vous emmène cette fois-ci dans l’Utah à la rencontre d’une personnalité authentique, d’une intégrité exemplaire, passionnée par les neurosciences chez les cétacés depuis 30 ans, et Présidente du récent projet de sanctuaire pour les cétacés en captivité – Whale Sanctuary Project – le Professeur Lori Marino.
Si aux USA les travaux de recherches sur les cétacés sont nombreux, Lori Marino bénéficie d’une notoriété toute particulière depuis sa publication d’une étude en collaboration avec Diana Reiss parue en 2001, faisant la démonstration que les grands dauphins avaient la conscience de leur être et la capacité de se reconnaitre face à un miroir. Elle arpente aujourd’hui les universités nord-américaines et les salles de conférence pour présenter ses travaux sur les dernières avancées en neurosciences permettant de comprendre les capacités cérébrales, insoupçonnées jusqu’alors, chez les cétacés.
Aussi techniques soient les termes pour décrire les aspects du cerveau d’un dauphin ou d’une orque, le Professeur Marino s’emploie avec panache à rendre obsolète l’argument qui consiste à dire que l’Homme possède le cerveau le plus gros – par rapport à sa taille- du règne vivant, et que par conséquent cela en fait l’espèce la plus intelligente de toute. Si l’outil de mesure EQ (Encephalization Quotient, ratio entre la taille attendue du cerveau versus la taille du corps) a surtout le mérite de rassurer notre égo quant à sa supériorité ultime dans la chaine alimentaire, ce modèle semble tomber en désuétude devant les arguments, éprouvés mais perspicaces) de cette chercheuse.
Lori Marino aime à rappeler que les cétacés et les hommes ont eu un ancêtre commun il y a 97 millions d’années et que, depuis lors, l’évolution a doté l’homme d’un rapport EQ de 7, devant le dauphin commun qui a un EQ de 4,5, et les orques avec un EQ de 2,6 (identique à celui du gorille). De facto, l’homme apparait être plus proche du dauphin que des primates en ce qui concerne leur rapport de taille cerveau/corps. Pour autant, les fossiles témoignent d’un rapport cerveau/corps très développé chez nos ancêtres depuis 100 000 ans, contre plus d’un million d’années pour les dauphins.
L’EQ est un outil de mesure qui a une importance relative, mais d’autres aspects du cerveau ont une valeur bien plus significative, nous explique le professeur. La taille du cerveau, à elle seule, est un indicateur non négligeable. Mais “cela ne peut scientifiquement suffire pour comprendre l’animal”. Il faut alors se pencher sur la sophistication du cerveau (son niveau de détails) et sa structure (son agencement). Illustration à l’appui, Lori Marino éclaire notre regard sur notre capacité à constater le niveau de sophistication des différents cerveaux présentés.
Dans un premier temps, il est facile de remarquer les tailles des cerveaux ci-dessus mais aussi leur largeur. On pourrait imaginer spontanément que plus les cerveaux sont gros, plus leur niveau de sophistication diminue, par effet de proportion. Et bien c’est strictement l’inverse qui se produit. Malgré le volume grandissant, lorsqu’on compare les cerveaux de l’homme, du dauphin et de l’orque, ces sillons gagnent en finesse et en profondeur. De quoi générer un premier complexe pour les humains en mal d’égo ! Le professeur souligne la finesse de la profondeur des sillons et des rides chez les dauphins, puis précise que « La finesse des fibres cellulaires cérébrales, les axones, déterminent la vitesse du traitement de l’information. », mais aussi un volume d’informations supérieur. Ces facteurs sont révélateurs dans le fond comme dans la forme : «la matière grise » est « compactée comme une feuille de papier que l’on chiffonne le plus possible pour la faire rentrer dans un contenant trop petit pour la contenir », explique la chercheuse. En résumé, la surface de matière grise est plus importante chez le dauphin avec 3745 cm², que chez l’homme avec 2275 cm² et encore plus importante chez les orques, qui détiennent le record absolu chez les mammifères sur Terre, avec 14 207cm².
Puis nous pénétrons peu à peu dans l’analyse structurelle des différents cerveaux. Le niveau de détail, précédemment décrit, est encore plus parlant à la vue de cette coupe cérébrale faite à l’aide d’une IRM. Les ridules que l’on observe chez l’orque ont un niveau d’élaboration, de détails et de circonvolution, dans certaines aires du cerveau, supérieurs à celui de l’Homme. Particulièrement dans les aires para-limbiques qui ont « attraits aux émotions et à l’intelligence sociale ». Ceci est un indicateur du niveau de sensibilité de l’animal, et doit nous faire comprendre le degré de complexité de leur fonctionnement social.
A gauche, l’agencement du cerveau humain montre un espacement certain entre les deux cortex auditifs et le cortex visuel très développé en arrière du cerveau. Chez les dauphins, on constate une proximité étroite des cortex auditifs et visuels, ce qui induit une capacité de traitement des informations entrantes très entremêlées entre les deux régions. Le niveau d’entremêlement des deux zones est encore plus complexe chez les orques. Si cela ne semble étonner personne, il était indispensable de constater visuellement comment un cerveau permettant la vision par le son pouvait non seulement engendrer l’écholocation mais aussi faire le prolongement quant à leur niveau de sensibilité au son. L’Homme est, quant à lui, plus sensible à la vue, et c’est probablement pour cela que leur cortex visuel prend une part importante de son cerveau.
Plusieurs autres détails sont à retenir dans la structure cérébrale des cétacés. La proportion du cortex dédiée au traitement du son est non seulement plus grande et bien plus importante proportionnellement, mais il apparait également que les dauphins n’auraient pas un mais bien deux cortex auditifs. Le son est donc le sens prédominant qui conditionne leur mode de communication, de perception et de décision.
Le professeur Marino explique : « le cortex auditif situé au sommet du cerveau adjacent au cortex visuel est utilisé pour traiter l’écholocation. Et le cortex auditif dans le lobe temporal pourrait traiter les sifflets et autres sons qui ne sont pas des clics haute fréquence. Cette zone est similaire à la « zone de langage » du lobe temporal chez l’homme. Bien entendu, les deux types de sons doivent également se rencontrer dans une zone de convergence du cerveau. »
Il est donc urgent de comprendre comment les sons générés par les activités humaines en mer peuvent saturer les cerveaux des cétacés et nuire à leur qualité de vie. On peut transposer cette situation à une personne vivant en permanence avec une sévère migraine et devant travailler dans une boite de nuit ou un chantier de construction. En somme, un niveau de stress ingérable pour quelque humain que ce soit.
Pour finir, le cervelet, qui joue un rôle important dans la coordination motrice et l’adaptation des actions dans un environnement en mouvement, est là encore proportionnellement plus important chez les cétacés.
Malgré ces différences importantes, les humains et les cétacés partagent des capacités cognitives très complexes, au point d’envisager que les hommes seraient plus proches des cétacés, d’un point de vue potentiel cognitive, que des primates.
Devant autant d’indicateurs, il essentiel de vérifier, à partir des connaissances en neurosciences et des tests cognitifs effectués chez les humains, si comme les Humains, ces êtres non humains posséderaient un niveau de conscience aussi développé. La conscience de soi à travers la capacité de se reconnaitre, la capacité de penser une pensée, une émotion, ou même la capacité d’autoévaluation d’un savoir.
La première étape de démonstration confrontait un dauphin face à un miroir. Si l’animal répond par une attitude sociale, cela indique qu’il pense voir un autre animal. A l’image d’un enfant de moins de deux ans qui essaie d’interagir avec son propre reflet jusqu’à lassitude. Cela indique qu’il ne se reconnait pas. C’est la réaction de la majorité des animaux.
Les dauphins qui ont été évalués adoptent une série de mouvements, d’attitudes et de positions inhabituels, comme pour vérifier le niveau de relation entre ce qu’ils voient et ce qu’ils font.
Le test ultime consiste à marquer ostensiblement l’animal d’un repère, et à observer leur réaction devant leur image modifiée par le marquage. Lorsque l’animal cherche à analyser activement le marquage en orientant la partie du corps concernée, et s’agite pour s’en séparer, l’expérience permet de conclure à un haut niveau de conscience de soi. Malgré d’innombrables tests, avec des pièges de toute sortes, les dauphins testés ont tous franchi les étapes de reconnaissance de leur image, et déjoué les pièges le cas échéant.
Concernant l’évaluation du niveau de conscience de leur savoir et de la métacognition, une des expériences consiste à leur faire apprécier si deux sons semblent différents ou similaires. Avec une possibilité d’appuyer sur une pédale pour les deux choix (oui c’est différent, non ce n’est pas différent), mais aussi une troisième pédale alternative. A ce jeu-là, les dauphins font preuve des mêmes résultats durant les tests proposés reconnaissant indubitablement leur incapacité devant un choix trop subtil, ou pour lesquels ils n’ont aucune référence ou encore lorsque le niveau de nuance est trop subtile pour savoir répondre au test. Inutile de préciser qu’ils ont montré un taux de bonne réponse aussi élevé que les Humains.
Une telle conscience de ces capacités cognitives chez les dauphins doit nous amener par extension à considérer une structure sociale aussi complexe et sophistiquée, pouvant même aboutir à la notion de culture.
Les dauphins montrent un niveau de lien social très complexe et très modulé en fonction de leur activité et des périodes de leur vie. Certains liens sont uniquement par intérêts à long terme, comme le fait de former des alliances par exemple. D’autres interactions répondent davantage à des intérêts à court terme, comme les jeux, la reproduction ou encore la transmission de technique de chasse qui varie d’une zone géographique à une autre et d’un clan à un autre. Comme celle développée par ces grands dauphins de Floride, qui créent tour à tour un nuage de vase opaque en frappant leur nageoire caudale sur les fonds de l’océan, obligeant les poissons à sauter hors de l’eau pour fuir… et certains de finir dans la gueule grande ouverte des autres dauphins receveurs.
Dans la transmission de leur culture, les orques semblent être les espèces les plus conservatrices culturellement, de la planète. Un mâle vivra toute sa vie sous la régence de sa mère et répondra à ses choix de contacts, de jeux, de partenaires de reproduction, de techniques de chasse, de choix des proies, de rituels de célébration, notamment de deuils, et évidement de dialectes. Un lien si fort qu’une forte probabilité de mort par dépression peut être constatée chez les mâles après le décès de la matriarche.
Devant tant d’éléments, étayés scientifiquement et percevables par le bon sens, l’humanité telle qu’elle se définit dans notre disposition à la compréhension, à la compassion envers des êtres qui nous sont semblables, doit nous conduire à reconnaitre désormais ces trois éléments rationnellement indiscutables sur leur existence :
- Leur conscience d’un degré similaire aux Hommes,
- Leur sensibilité qui dépasse nos propres perceptions et doit intimer notre humilité et notre sagesse,
- Et leur intelligence (telle que définit par l’ensemble des processus d’apprentissage et d’utilisation des savoirs dans un contexte donné).
Plus nous tarderons à reconnaitre ces dispositions et capacités que ces créatures prouvent au quotidien, plus nous leur causerons collectivement des dégâts. Les enjeux sont nombreux et chacun doit prendre conscience que notre intérêt est de conserver ces espèces pour l’équilibre des chaines alimentaires et des écosystèmes dont nous dépendons.
Comme les cétacés et de nombreux animaux, l’Homme sait faire preuve d’empathie pour défendre une cause ou un individu autre que lui-même. A l’inverse, certains font preuve de formes d’intelligences non vérifiées chez les cétacés : l’égo, la mauvaise foi, le mépris, la domination, l’ignorance ou, pire encore, la dissonance cognitive ; le fait de ne pas accorder l’existence de quelque chose sous prétexte de ne pas la voir, ou sous prétexte qu’elle ne correspond pas à sa réalité.
Pour autant la multiplication des rencontres, mêmes dans des parcs aquatiques, ou pour les plus chanceux en milieu naturel, convertie de plus en plus d’Hommes à plus d’empathie envers les animaux en général. Aucun ne reste indifférent après la rencontre d’une espèce douée d’autant de capacités, pour ne pas dire facilités, et aussi semblables aux nôtres. S’il apparait que les cétacés sont des défis avérés pour toutes les branches scientifiques existantes, veillons à garder à l’esprit, que s’ils venaient à disparaitre, aucune motivation, curiosité ou nouvelle connaissance ne leur survivraient beaucoup de temps après.
Nous remercions chaleureusement Lori Marino pour le temps qu’elle a consacré à répondre à nos questions malgré un emploi du temps surchargé. Nous la retrouverons dans un article consacré aux sanctuaires marins, très prochainement.
Crédits Photo : Lori Marino & Ambassade des Océans