
Les Requins: martyrs des océans
Combien d’Hommes, se baignant dans la mer, se sont-ils déjà demandés : « j’espère qu’il n’y a pas de requins ! ». Et pour sûr, la réputation des requins a été grandement galvaudée par le cinéma pour en faire ni plus ni moins un monstre, prédateur des hommes.
Face à ce folklore mythologique occidental qui influence notre inconscient, des hommes passionnés se battent et consacrent leur vie pour lever les illusions et les peurs sur les requins, dont le plus grand des océans : Le Grand Blanc. Parmi ces hommes, il en est un, né par-delà les Alpes, au sourire communiquant, qui a consacré plus de 40 ans de sa vie à parler de ces créatures comme personne. Le docteur en Maîtrise de Sciences Naturelles, Alessandro De Maddalena.
Bien sûr l’homme est passionné depuis son enfance, et y consacre la moindre parcelle de son temps professionnel et personnel. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, photographe, illustrateur, chef d’expédition, A. De Maddalena ne s’arrête jamais. Et la distance n’est aucunement un argument pour le freiner entre la Norvège, l’Australie et l’Afrique du Sud pour être sur le terrain dans des missions de recherche et de protection, ou bien dans les accompagnements du public à la découverte de ce qu’il qualifie comme « la plus grande forme d’art produite par la nature. Énorme, majestueux, rapide, puissant, incroyablement beau et élégant … Je pense que cela suffit pour rendre ce prédateur unique. »
Ce scientifique de formation s’attache donc à parler des requins, de sa biologie, de ses comportements et de soutenir ses propos par l’expérience : « Depuis 9 ans, l’idée de base est d’amener les gens dans l’environnement des requins et à leur proposer un cours complet sur la biologie de ces prédateurs. Cela présente deux aspects positifs principaux : la garantie d’une expérience d’observation de qualité pour les participants et une surveillance de l’espèce dans les règles de l’art ».
Il n’est pas vain de rappeler qu’environ 150 millions de requins sont arrachés aux océans chaque année. Mais il est de plus en plus urgent de prendre conscience que 90% des populations de requins ont été massacrée. Leur chance de survie se réduit à « Zéro, si les gouvernements ne déclarent pas illégale l’utilisation d’engins de pêche comme les palangres pélagiques et le chalutage. Outre la pêche aux requins, il faut mentionner la pêche des proies dont se nourrissent les requins, la pollution et la destruction de l’habitat, qui laissent encore moins de chances aux populations de se reconstituer : nous transformons les océans en désert », déplore-t’il. A ses yeux il est important de déconstruire ce que les livres et films ont créés chez l’homme : la peur d’être mangé par un monstre marin sans intelligence. Il dénonce sans détour : « Ce que l’on voit dans les films, c’est beaucoup de merde. Même s’il existe 500 espèces de requins et que nous pouvons les trouver partout, il n’y a qu’une dizaine de personnes qui meurent chaque année des suites d’attaques accidentelles de requins, et la plupart d’entre-elles ne sont même pas mangées par les requins. Les humains tuent environ 150 millions de requins par an…( soit 11 417 par heure)… et ils les mangent, en font des soupes, en font des crèmes solaires, des cosmétiques ou les utilisent comme nourriture pour les vaches et les cochons ! Qui est le monstre ? ». A titre de comparaison, les moustiques tuent plus de gens en un jour que les requins en un siècle.
Ce docteur rappelle le principe simple suivant : « En tant que prédateurs, ils mangent une quantité énorme d’espèces d’animaux marins. Ce faisant, ils contrôlent la taille des populations de tous ces animaux. Ils maintiennent l’équilibre. Lorsque nous tuons trop de requins, le nombre d’animaux dont ils se nourrissent augmente. Ces animaux ont donc besoin de plus de nourriture et commencent à détruire des populations d’autres animaux. L’équilibre naturel entre les nombreuses espèces d’animaux marins a disparu. Les effets sont dévastateurs. ».
La France n’est pas exempte de tous reproches en la matière… à de nombreux égards.« Ces dernières années, les Français ont manifesté un intérêt particulièrement marqué pour les requins, ce qui est bien sûr très bon. Beaucoup de Français ignorent cependant que la France figure parmi les plus grands pays pêcheurs de requins et parmi les plus gros importateurs de viande de requin. Interrompre la vente de viande de requin ne suffit pas, car la majorité des requins sont capturés, mais principalement “par erreur” lors des opérations de pêche au thon, à l’espadon et à d’autres espèces de poissons. Il faut demander à votre gouvernement de rendre illégal les palangres et les chalutiers ».
Sans parler des filets fantômes qui font des massacres sur toutes les côtes du monde, comme en Bretagne en juin 2018. Quant à la situation de tension sur l’Ile de la Réunion, la nuance est plus de rigueur. « Je pense que la plupart des habitants de La Réunion savent que les requins sont un élément fondamental de l’écosystème. Malheureusement, il y a aussi des gens qui ont une mentalité différente, qui pensent qu’en tant qu’êtres humains, nous avons une série bizarre de “droits”, comme par exemple de surfer sur des sites où ce type d’activité a été interdit. La simple vérité est que nous n’avons aucun droit, et certainement pas plus que toute autre espèce vivant sur cette planète. Lorsque nous entrons dans l’océan, nous le faisons à nos risques. Chaque fois que nous faisons cela, que ce soit pour la natation, la plongée, le surf ou quoi que ce soit, nous devons savoir que nous sommes responsables de nos actes. »
Pendant ce temps-là le gouvernement Français, par le ministère des Outre-Mer, double les fonds pour la lutte anti-requins à la Réunion, soit 2 millions d’euros, pour « redonner l’accès à la mer aux réunionnais », en plus du programme de prélèvement des requins bouledogue à hauteur de 840 000 euros par an jusqu’en 2021. Ces budgets seront gaspillés, selon le spécialiste italien : « Il faut construire une solide éducation pour les générations actuelles et futures, leur apprendre le fonctionnement de l’écosystème et le respect de chacune de ses composantes, ainsi que suivre les règles pour résoudre le “problème” de La Réunion ».
Cette vision globale et l’expertise de terrain ne rassure pas ce scientifique passionné, qui rappelle inlassablement que la solution est collective, et que ce sont les groupes d’individus qui peuvent changer la situation. « Je voudrais être plus positif. Mais je vois le nombre de requins de toutes les espèces diminuer chaque année. Les gens peuvent changer le monde, arrêter tout cela, transformer ce cauchemar en un paradis naturel qui existait autrefois.
Comme le dit la rockstar Patty Smith :”Les gens ont le pouvoir”. C’est évident. Mais jusqu’à présent, ils semblent beaucoup plus intéressés par d’autres choses plus petites. Les gens doivent se rendre compte que nous n’avons qu’un seul monde et nous le détruisons comme un cancer. Les ressources naturelles ne sont pas infinies. »
La propension de l’Homme à protéger une espèce dépend du niveau de connaissance de celle-ci. Les chercheurs et passionnés, à l’instar d’Alessandro De Maddalena participent à augmenter cet éveil des consciences du public.
Nous ne pouvons plus considérer les habitants des océans comme de simples ressources à notre service, mais comme des composants indispensables, qu’il faut préserver à tout prix, pour le maintien et le développement d’un environnement équilibré propice à la biodiversité.
Crédit imges: Alessandro De Maddalena