Whale Watching: pour ou contre?
Fortement développé au début des années 1990, le « Whale Watching », comprenez « l’observation des baleines », connait depuis ces dernières années une croissance importante dans le monde entier, et notamment en France.
Il s’agit d’une activité nautique pour aller à la rencontre d’animaux sauvages en pleine nature et qui attire de plus en plus de touristes et donc d’investisseurs. Comment protéger les espèces face aux différentes approches ? Comment réglementer les pratiques ? Quelles sont les solutions ? Nous vous donnons ici toutes les bases pour aborder le sujet de manière solide et sérieuse !
Le Whale Watching est né en Californie dans les années 1950 pour observer les Baleines Grises, avec le concours du grand public. Si à l’époque le ticket était vendu $ 1 et n’attirait que 10 000 participants, cette pratique s’est rapidement démocratisée et répandue par-delà les frontières : États-Unis, Canada, Angleterre, Australie, Indonésie… en 60 ans cette branche du tourisme s’est répandue partout dans le monde où l’homme a réalisé que des mammifères marins devenaient observables, mais aussi partout il fallait offrir une alternative économique pour supplanter les activités de chasses commerciales, pour les populations concernées.
Phoques, Otaries, Dauphins, Béluga, Globicéphales, Marsouins, Orques, Baleines, Cachalots… des centaines d’espèces qui fascinent et motivent de plus en plus d’opérateurs devant un nombre d’amoureux de la faune marine, potentiels clients, qui explose.
Aujourd’hui le Whale Watching est populaire dans plus de 120 pays et génère des chiffres qu’aucun investisseur ne laisserait passer à l’as : 3 000 opérateurs employant 13 000 personnes, gérant plus de 13 millions de clients chaque année, pour un chiffre d’affaires de 2,1 milliards de dollars (US). De quoi susciter l’intérêt n’est-ce pas ?
Et la France dans tout cela ? Elle reste timorée, mais elle rattrape très (voire trop) vite son retard. Si la plus grosse partie des opérateurs est concentrée sur le bassin méditerranéen, le potentiel de croissance permettrait d’imaginer cette industrie comme une filière d’avenir pour le tourisme français : forte de ses 11 millions de km² de surface maritime, la France est le deuxième territoire maritime mondial et recense 80% des espèces marines connues dont la quasi-totalité des différentes espèces de mammifères marins. Celles qui attirent le plus grand nombre. C’est pour cela que le Whale Watching connait une explosion en France. Avec une croissance de 22% enregistrée en 2008, qui se maintient toujours à deux chiffres depuis lors, elle est présente sur tout le littoral : de Dunkerque à Nice en passant par Cancale, Fréjus, Ajaccio et beaucoup d’autres villes. Sans oublier les territoires et départements d’outre-mer. Cette recrudescence d’opérateurs entraine une multiplication anarchique de bateaux qui se lancent parfois dans des poursuites frénétiques de ces animaux sauvages. Ce qui inquiète de plus en plus la communauté scientifique et certaines organisations, à l’instar d’Ambassade des Océans. Car les dérives sont nombreuses et aucune réglementation cohérente ne vient recadrer celles-ci.
Quelles sont les dérives et les nuisances ?
En France et en Europe n’importe qui peut devenir Whale Watcher : Le premier écueil réside dans le simple fait que n’importe quelle structure, dotée d’un bateau et d’une personne habilitée à le piloter, peut monnayer une sortie en mer sans aucune justification, dès lors qu’elle répond de ses obligations fiscales. Ce qui renvoie à la deuxième difficulté qui est la régulation du nombre d’opérateurs qui peuvent littéralement courir, compétition oblige, en meutes derrières les animaux. A l’Ile Maurice, quelques embarcations chargées de touristes sont, dès sept heures du matin, au milieu des groupes de dauphins encore en train de dormir… au nom de l’éco-tourisme ! Plus proche de la France, la mer méditerranéenne semble devenir le théâtre de scènes similaires depuis peu. En Norvège par exemple, on peut parfois observer plusieurs dizaines de bateaux qui harcèlent un petit groupe de baleines à bosses et / ou d’orques durant la migration des harengs, témoigne Pierre Robert de Latour, fondateur de l’association orques sans frontières -USEA et comportementaliste des orques.
Question nuisance invisible, il est aujourd’hui indiscutable de considérer que le moindre bateau génère un son qui est amplifié et qui se propage 4 fois plus vite dans les océans. De surcroît, l’évidence que ces animaux soient autrement plus sensibles que les hommes au son, doit imposer des seuils de tolérance beaucoup plus stricts. Le trafic maritime sature déjà les mers du monde d’un vacarme qu’on ne peut encore totalement mesurer. Ni ses conséquences. Mais ce qui est certain, c’est que plus ces bateaux de Whale Watching sont nombreux, plus cela vient générer des nuisances potentiellement à l’origine d’échouages. Nous vous invitons à vous intéresser à notre article sur ce sujet.
Autre dérive, celle d’amener le client (toujours) plus près de l’animal. Cette promesse de spectacle vivant à porter de main vient rompre avec toute approche éthique et de respect des cycles des animaux. Certains opérateurs peu scrupuleux n’hésitent pas à garantir une expérience sensationnelle et à enfreindre toute éthique pour concrétiser leur promesse de vente. A commencer par le passage à la caisse qui est sensationnel à lui seul ; pouvant atteindre 500 euros par personne pour la journée entière. En s’approchant trop près, trop rapidement, un bateau ou un groupe d’individus mis à l’eau peut facilement interrompre un groupe de dauphins qui chassent, jouent, se reproduisent ou se reposent. Mais fait notable, la multiplication des dérangements, constate-t-on, contraint les animaux à quitter ces zones clés pour leur survie. Aussi il est urgent d’y apporter une attention toute particulière.
Ce qui amène à cette dernière conséquence : la multiplication des incidents et des accidents avec les animaux. Si les collisions avec les bateaux sont souvent gardées sous silence, des accidents plus spectaculaires percent le jour médiatique à l’air du tout vidéo. Le Whale Watching 2.0, qui met les touristes à l’eau (parfois plus de 200 personnes sur la même zone), expose les animaux directement à l’ingérence des opérateurs ou/et l’imprudence des clients aux comportements non maitrisables (gestes brusques, attitudes euphoriques ou paniquées). Autre point, rarement considéré, on met en contact l’Homme avec des prédateurs sauvages visibles, mais aussi à porter de prédateurs sous la surface, non perçus. Fort heureusement, les incidents de morsures et de coups/charges de dauphins, pour ne citer que cela, restent bénins bien qu’ils se multiplient. En septembre un groupe de touristes trop intrusifs a fait l’objet d’un comportement agressif de la part d’une baleine cherchant à protéger sa progéniture. Plus angoissant, un sud-africain mis à l’eau en masque et tuba a littéralement été avalé puis recraché par une baleine le 8 mars dernier, la aussi par manque d’encadrement selon P.R de Latour. Bien plus affligeant sont les vidéos qui montrent des attitudes cavalières de touristes qui vont directement se faire tracter par des requins, dauphins, tortues, ou s’amusent à sauter sur ces animaux depuis le pont du bateau, quand ce n’est pas pour faire du rodéo sur un poisson lune sans se préoccuper des conséquences sur l’animal.
Le spécialiste français P.R de Latour, fort de ses 6 000 plongées dans le milieu naturel du plus grand prédateur marin, témoigne de ce qu’il se passe en mer du nord, la où il accompagne des passionnés depuis maintenant 20 ans: « D’abord on se fixe des règles éthiques de respect de l’animal avant de commencer à plonger: c’est le minimum professionnel. Aussi depuis 1998, en observant les orques mais aussi les baleines à bosses, nous avons compris leurs comportements pour améliorer notre approche d’une part, mais surtout réduire le plus possible le dérangement pour l’animal. On doit respecter le monde dans lequel on s’introduit, et ceux qui y vivent, en respectant leur règles sociales, leurs codes comportementaux, leur moment de repos et surtout leur moment d’intimité. Mais plus important, nous avons réalisé à travers les comportements des orques et de la multiplication des rencontres, que ni les orques ni les baleines ne nous perçoivent comme une nuisance, une fois à l’eau». Il s’explique: « Un nageur n’est pas nuisible pour un mammifère marin : nous n’avons pas la capacité de nuisance réelle envers des animaux qui se déplacent entre 40 et 70 km/h pour les plus rapides, sachant que les hommes ne peuvent se déplacer qu’à 3 ou 4 km/h. Nous sommes des méduses pour ces animaux , ils nous sèment en deux coups de nageoires, dans n’importe quelle direction ! Ce qui pose problème, c’est le bateau qui amène les observateurs, qui veulent, c’est vrai, être sur le dos des baleines au sens propre et figuré. Et la, si aucune autorité n’intervient on voit émerger des comportements intrusifs et dangereux pour les hommes comme pour les animaux ».
« On peut déplorer que plusieurs dizaines de plongeurs viennent sur une zone restreinte. Mais en réduire le nombre serait vain si on ne réduit pas par ailleurs le nombre de bateaux qui offre la même expérience, en plus du trafic et ou des activités permanentes. Nous avons vu parfois jusqu’à 40 bateaux suivre le même groupe d’animaux : c’est excessivement dangereux pour l’homme lui-même, surtout un fois à l’eau. Le bruit des moteurs, le danger des hélices et le risque de collisions avec les animaux comme les plongeurs, font des bateaux les plus grosses nuisances. Et face à cette situation, seul notre opérateur a pris l’engagement d’assurer une supervision systématique des groupes de plongeurs en intégrant automatiquement un plongeur de sécurité par groupe, qui aura été formé aux mesures de sécurités mais aussi à reconnaitre les comportements et les différentes activités des animaux. Ce que peu d’opérateur propose en définitif, car cela a un coût pour l’opérateur» !
Pour François Gally, Directeur du Groupement d’Étude des Cétacés du Cotentin, le vide juridique autour de cette exploitation non régulée en France est un danger grandissant pour les espèces. Il nous parle sans concessions : « le problème c’est que l’État ne s’investit pas à la hauteur des enjeux sur le sujet », explique-t-il, « ce sont les associations qui doivent opérer les changements avec l’Agence Française pour la Biodiversité » ; « aucun moyen sérieux n’est alloué pour étudier les interactions et les dérangements de ces activités sur les populations de baleines et de dauphins. Car il y a perturbation à la moindre approche : que ce soit un bateau ou un nageur, dès qu’il s’approche de l’animal, celui-ci interrompt son activité. Toutes les études le prouvent ». Et effectivement, toutes les associations déplorent le manque de données sur les conséquences de cette activité dans l’environnement marin. Le spécialiste des dauphins ajoute que « le bénéfice pour l’animal est inexistant, quand bien même cela servirait d’alternative au braconnage ou à la chasse à la baleine dans certaines zones du monde, le Whale Watching ne peut être qu’une étape de transition. Si cela dure, ce n’est plus une alternative… c’est un business, le Whale Watching dans la majorité des pays du monde propose un service dont nous n’avons pas besoin, car il n’y a plus de braconnage depuis longtemps ; si nous voulons protéger les cétacés, il faut leur foutre la paix »!
Quelles sont les règlementations existantes et les solutions ?
Cela fait consensus parmi tous les acteurs interrogés sur ce sujet, qu’ils fussent pour ou contre le Whale Watching, l’absence de régulation est un danger que tout le monde dénonce. Certaines organisations militent pour instaurer et faire accepter un cadre plus respectueux de la biodiversité et des écosystèmes, comme le préconise Pierre Robert de Latour. Un premier pas a été franchi par l’association Souffleurs d’Écumes, établie dans le sud de la France, qui a réussi le tour de force de convertir 15 des 35 opérateurs en Méditerranée, au label « High Quality Whale Watching ». Cette certification, nous explique Joséphine Chazot, Chargée de mission dans l’association, « propose une formation aux opérateurs pour exercer une activité respectueuse des animaux et de leur environnement. Ce cahier des charges comprend notamment une limitation d’approche active interdite à moins de 100 mètres, impose une allure lente, une durée d’observation limitée à 30 minutes, l’interdiction d’utiliser le repérage aérien et l’interdiction de la mise à l’eau des touristes. Une certification qui s’appuie sur le volontariat et la conscience environnementale des opérateurs ».
Ailleurs dans le monde, des chartes de bonne conduite, comme celle du High Quality Whale Watching, imposent un cadre encore plus strict. Force est de constater que les réglementations les plus strictes sont développées en Amérique du nord, où plus de 60% du chiffre d’affaires mondial est réalisé. Aux USA, depuis 1972, le « Marine Mammal Protection Act » interdit toute nuisance aux tortues en danger et aux mammifères marins. Toute personne, physique ou morale, faisant preuve de harcèlement ou tentant de blesser, capturer ou tuer ces animaux s’expose à une amende allant jusqu’à 143 500 dollars (200 000 dollars pour les structures commerciales) et une peine d’emprisonnement d’un an. Outre cela, l’administration américaine impose la détention d’un permis spécial pour pratiquer le Whale Watching, et d’observer des mesures strictes d’approche : réduire sa vitesse à moins d’un kilomètre de distance jusqu’à 400 mètres de l’animal ; observer un minimum de 200 mètres de distance avec l’animal en navigation lente ; interdiction d’approcher à moins de 100 mètres ; être à l’arrêt si l’animal se dirige dans votre direction… Au Canada dans le Saint Laurent, des restrictions de navigation ont été adoptées pour protéger les bélugas, dont la population a chuté à moins de 950 membres. Par exemple, les zones clés de repos ont été interdites à la circulation de toutes embarcations.
Vers quel modèle faut-il tendre ?
Ce dernier point vient questionner l’approche des défenseurs de la biodiversité : Où peut-on placer le curseur quant au seuil de nuisance acceptable pour les animaux tout en continuant d’éveiller les consciences ? Et comment encadrer une activité qui se veut vertueuse et qui peut vite dégénérer devant l’appétence des hommes pour une surexploitation presque systématique d’une activité « bankable » ?
L’autogestion, les chartes et cahiers de doléances ne peuvent plus suffire au risque que cette activité ne devienne invasive en surface et en profondeur. Si la politique des petits pas continue, le Whale Watching pourrait finir de consommer les animaux que l’on avait prétendu vouloir sauver initialement. Car hélas, comme dans n’importe quelle industrie, les torts générés par les moins nombreux détruisent bien plus que les bienfaits construits par les plus méticuleux. Une réglementation à la hauteur des enjeux doit imposer, de la prévention à la répression, un cadre qui rendra honorable une pratique inclusive. A commencer par la création d’un nombre de licences d’exploitation limité, comme un permis de Whale Watching. C’est le meilleur moyen de préserver une activité sur le long terme. La proposition de certifications professionnalisantes intégrant la gestion et l’application des règles de sécurité sur les bateaux, la gestion des risques en immersions des risques d’ingérences comportementales et d’accidents pour assurer la responsabilisation des opérateurs. Enfin une approche éducative et/ou pédagogique pourrait permettre de compléter cette discipline de la meilleur des manières : Outre Pierre Robert de Latour et USEA, peu d’opérateur propose un contenu scientifique éducatif pour véritablement transformer cette expérience de vie de la plus enrichissante des manières : le savoir concrétisé par l’expérience. Celle-ci intégrerait une approche d’observation pour mettre à jour le recensement permanent comme avec l’application « OBS EN MER ». Ces relais d’observations permettraient d’améliorer la définition des zones d’exclusions, qui pourront être définies pour respecter les temps de repos, de migrations, les interactions inter espèces, les cycles d’activités des animaux, leur rythme biologique et leur dignité d’être vivant qu’aucun humain n’a le droit de toucher à sa convenance. « Nous devons réaliser que c’est une chance d’observer ces animaux dans leur environnement. Ils nous tolèrent et peuvent parfois nous gratifier d’un contact social, notamment en venant dans notre direction, ou en nous regardant. Ce contact social, s’il a lieu est amplement suffisant. Le contact physique et l’appât avec de la nourriture pour attirer les animaux à soit sont deux aspects à interdire vigoureusement », dixit l’homme aux 6000 plongées parmi les orques.
Pour sûr, la multiplication du nombre d’acteurs et de débats sur ces sujets permettra de remonter ces considérations pour que l’évolution des réglementations viennent considérer le bien-être animal avant tout intérêt économique, éthologique ou éducatit.
Si les transitions peuvent prendre un temps considérable, l’effort pour concrétiser ces changements est permanent.
Sachant tout cela, résisterez-vous aux offres alléchantes cet été ?
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Crédits photos: Elaine Thompson/AP Photo / Walt Stearns / Moorea Adventures