
Les grands dauphins de la Manche : sentinelles des…
Dans notre ambition de mettre en lumière les acteurs, trop souvent dans l’ombre, qui participent à la conservation des océans, il nous tenait à cœur de vous présenter le tout premier de notre liste. Parmi les acteurs français qui portent le sacerdoce d’étudier les océans et leurs habitants, demeure l’association manchoise émérite intitulée GECC (Groupe d’Etude des Cétacés du Cotentin), qui est spécialisée dans l’étude des grands dauphins dans la mer de la Manche. Cette richesse biologique qui borde nos côtes françaises en permanence, la plus grande colonie d’Europe, est pourtant méconnue du grand public. Nous nous sommes entretenus avec François Gally, le directeur de cette structure, à l’occasion de la publication de leur rapport d’activité pour l’année 2016. Un homme discret et posé qui appréhende son métier avec beaucoup de recul et de philosophie. A la fois gestionnaire pour faire vivre cette association, F. Gally se veut avant tout naturaliste : « Un naturaliste appréhende avant tout une espèce dans son environnement avec tout ce qui le compose ».
De la mission à l’innovation.
Le GECC a pour missions durables de suivre l’évolution des populations des grands dauphins, de réaliser des études scientifiques précises, de sensibiliser le grand public, et d’animer le développement de l’outil participatif OBSenMer.
Ce dernier projet, OBSenMer, ajoute à la renommée du GECC car l’application permet de mutualiser toutes les données d’observation réalisées en mer ou sur le littoral. Que ce soit par les professionnels des métiers de la mer, des scientifiques ou plus pertinent encore par les particuliers.
La notoriété du GECC vient avant tout de sa spécialisation dans les grands dauphins, forgée étude après étude sur la génétique, le régime alimentaire, la contamination chimique chez le grand dauphin, et le développement d’outils de mesure/suivi de la population. Depuis 2007, le GECC a construit une connaissance si pointue, qu’elle en devenue un acteur incontournable pour aborder le grand dauphin.
En 2016, le GECC a maintenu une intensité exceptionnelle pour leur étude en consacrant 227 heures de recherches et 88 heures d’études spécifiques. Soient 295 heures au total reparties sur 42 semaines (sur 52 possibles). Un exploit car les conditions météorologique et maritime ne sont pas les plus favorables dans la mer de la Manche. C’est cette intensité, qui en multipliant les rencontres, a permis de produire plus de 4750 clichés qui ont permis de distinguer 90 groupes de dauphins et d’identifier 264 individus, dont 47 nouveaux. Cela porte le recensement total à 763 depuis 2007. Cette détection permet entre autres, grâce à des outils statistiques incluant toutes les variables, de porter l’estimation totale de la colonie sédentaire à 426 individus. La plus grande d’Europe.
Des résultats qui remplissent de fierté son directeur, qui tient à préciser les choses : « c’est évidemment une grande fierté d’obtenir de tels résultats et une telle reconnaissance. Car même si les résultats semblent complets, il y a un gros travail d’endurance et d’innovation de techniques d’observations et d’analyses de données que les gens ne voient pas. Mais je crois d’ailleurs que c’est ce défi qui me plait avec cette espèce. »
Le directeur du GECC ambitionnerait de pouvoir étudier plus précisément le régime alimentaire pour connaitre les interactions du dauphin avec tout son environnement et toutes les espèces et découvrir comment il évolue aussi avec ses compétiteurs et avec l’activité de pêche humaine. « A partir de cela on pourrait être amenés à faire des modélisations assez fines pour voir quand les environnements changent, et détecter l’autosubsistance de l’environnement et la chaine alimentaire d’un environnement ; voir comment il s’adapte si une proie disparait »
Un respect à transmettre.
Lorsque nous lui demandons ce qu’il pense d’une observation en immersion dans l’environnement de ces cétacés, sa réponse se fait sans attendre : « à partir du moment où l’on est dans l’eau avec les animaux, il y a une interaction. On n’étudie plus un groupe de dauphins, mais on étudie l’interaction». Il précise : « dans une démarche de préservation, il faut toujours montrer l’exemple et garder nos distances, au lieu de poursuivre les animaux pour avoir les meilleurs images ». Il se veut au service de ces animaux en restant à la surface. Etre en immersion n’apporte aucun bénéfice pour les animaux.
Il tient par ailleurs à transmettre un message aux vacanciers et passionnés des dauphins : « Ces animaux ont beaux être des animaux curieux, ils restent avant tout des animaux sauvages extrêmement sensibles. En allant à leur rencontre, on crée le risque d’interrompre leurs activités, sommeil, chasses, liens sociaux… des activités qui leur demandent beaucoup d’énergies. En essayant de s’en rapprocher avec insistance, à la nage ou en bateau, les dauphins finiront par fuir quitte à interrompre leur activité en cours. »
Une espèce menacée au long court.
On peut se réjouir que les médias aient (enfin) porté leur attention sur les déchets plastiques, depuis mai 2018. « Un arbre qui cache la forêt » selon F.Gally. « Le problème avec les plastiques en mer, qui se désagrègent et forment des micro particules, c’est qu’en plus de répandre des produits chimiques, ils vont avoir tendance à capter d’autres polluants et en grossissant, vont attirer des bactéries et des animaux …quoique l’on jette en mer, la vie va s’y accrocher, et on va recréer un mini écosystème pollué, pourri dès le départ »
Le GECC a été aux avant-postes pour étudier la pollution marine à travers le grand dauphin depuis 2014. Car cette espèce est une « sentinelle » sur le niveau de contamination des océans.
En prélevant de la peau avec le lard (épaisse couche de graisse sous la peau) sur des individus morts et vivants, des quantités inattendues ont été décelées, et font des dauphins de la Manche parmi ceux les plus contaminés au monde.
Au point que le seuil de dangerosité pour la santé est dépassé de 7 fois pour les seuls PCBs. Les mâles pâtissent plus de cette contamination car ils accumulent les polluants tout au long de leur vie, alors que les femelles transmettent une partie des polluants ingérées durant la gestation et la lactation.
Mercure, PCBs, DDTs, HAPs, issus des fortes activités industrielles, forment l’effet cocktail qui n’est pas encore connu, et pourtant les effets constatés sont déjà désastreux : maladies de peau, déficiences immunitaires et hormonales, baisse de fertilité et augmentation de la mortalité chez les jeunes de moins de 3 ans.
« Ce qui est frappant avec ce niveau de contamination énorme, est que l’on retrouve encore des produits chimiques qui ne sont plus fabriqués et qui devraient mettre plusieurs siècles avant d’être dissipés (les PCBs, interdits depuis 30 ans). On ne peut pas décontaminer les eaux de ces « POP » (polluants organiques persistants), car ce sont des grosses molécules hyper résistantes. Même ingérés par un poisson, puis par un autre, jusqu’au dauphin, la molécule n’est pas détruite ». Il ajoute, «la seule chose qui peut les faire disparaitre, c’est le temps, qui les piégera dans les sédiments au fond des océans. Mais rien à l’échelle humaine ne peut les supprimer ».
Et ce ne sont pas que les dauphins qui sont contaminés. Cela finit tout le temps dans notre assiette. Dès lors on peut agir individuellement et montrer l’exemple, en consommant localement pour éviter les HAPs issus des émissions de CO2 durant les transports nombreux, en convertissant nos produits ménagés en produits biodégradables, en supprimant les produits phytosanitaires et en limitant/triant les déchets hautement chimique à notre portée (médicament, huiles de vidanges, peintures, détergents, piles…)
Que se passerait-il sans dauphins dans les océans ?
« Les dauphins et les requins sont des espèces qui sont très similaires, en tant que prédateurs supérieurs. Ils ont une place importante tout en haut de la chaîne alimentaire, en tant que régulateur des échelons inférieurs pour équilibrer la vie dans les écosystèmes, notamment via la sélection naturelle. Le dauphin s’attaque en premier aux proies affaiblies par diverses causes avant de s’en prendre aux proies « normales ». J’aurai également tendance à dire que ce sont des boosters d’écosystème ». Il s’explique : « dans un environnement où il y a des prédateurs, les espèces qui deviennent leurs proies sont obligées d’être beaucoup plus actives pour déjouer leurs prédateurs et assurer leur survie et leur reproduction. »
Réconcilions-nous avec les océans et ses habitants.
François Gally est par ailleurs conscient des mœurs encore empreintes d’instinct de compétition chez les hommes. « Il faut réapprendre à cohabiter… ces animaux ont toute leur place. De ne plus les voir comme des concurrents mais au contraire comme des alliés indispensables pour l’équilibre des chaines du vivants ». Avant de rappeler notre obligation de conservation des environnements quels qu’ils soient : « Si on sait qu’une action marche, il ne faut pas laisser l’initiative aux autres : c’est à tout le monde de s’y mettre ».
Nul doute qu’avec le temps, et l’addition d’études supplémentaires, à conditions de moyens financiers stables, le GECC saura ouvrir les consciences en nous faisant découvrir l’univers de ces mammifères autant adulés que mal traités par l’inconscient collectif.
Pour découvrir leurs activités et les suivre, rendez vous sur leur site internet : https://www.gecc-normandie.org.