Interview Howard Garrett
Pour notre premier article, nous avons l’immense plaisir de vous proposer une interview d’Howard Garrett, un des spécialistes des orques les plus renommés au monde. Il est le cofondateur et le président du conseil d’Orca Network, un organisme à but non lucratif voué à la sensibilisation des populations sur les orques du nord-ouest du Pacifique et à l’importance de leur fournir des habitats sains et sécuritaires. Il a notamment pris part durant ses trente années d’activisme, à la campagne pour libérer Lolita (orque captive depuis 48 ans au Seaquarium de Miami) en 1995. Il a d’ailleurs été interviewé dans le film documentaire à succès « Blackfish », de laquelle il tire une fierté toute particulière sur laquelle il revient :
« Mon entrevue pour Blackfish a permis au public de mieux comprendre l’histoire naturelle des orques, plus que toute autre réalisation. Cela a été un catalyseur qui a informé et encouragé le public à s’opposer activement à la captivité des cétacés. Cela a entraîné une baisse de la fréquentation et des revenus de SeaWorld et de nombreuses autres entreprises détenant des baleines et des dauphins. » Le gouvernement, quant a lui, fait preuve d’un « silence qui permet des violations de la réglementation. »
AMBASSADE DES OCÉANS : À part le boycott des aquariums qui offrent ces spectacles d’orques et de dauphins, quelles sont les actions accessibles à tous pour aider à mettre fin à cet « esclavagisme animalier » ?
HOWARD GARRETT« Nous demandons aux gens d’apprendre tout ce qu’ils peuvent sur l’incroyable histoire naturelle des baleines et des dauphins, et sur les effets de la captivité sur eux, et d’aider à éduquer les autres. Surtout, nous demandons aux gens de découvrir le projet qui consiste à relâcher Tokitae (premier nom donnée à Lolita) dans ses eaux d’origines… ».Il ajoute : « au fur et à mesure que les gens apprennent que les baleines et les dauphins souffrent énormément de la captivité, ils apprennent à voir des animaux stressés en captivité, qui ne démontre que notre domination sur eux. Cela supprime la valeur de divertissement ou d’éducation de les voir en captivité. » Il en profite pour adresser un message aux Français : « J’espère que la France pourra se libérer de la captivité des baleines et des dauphins. Surtout, s’il vous plaît, dites à tout le monde que Marineland d’Antibes est la propriété de la même entreprise (Parques Reunidos) qui possède le Seaquarium où Lolita est détenue ».
AO : Comment encourager les propriétaires de ces aquariums à cesser la captivité de ces animaux ? HG : « Nous leur avons proposé de changer leurs modèles économiques pour mettre en valeur des mondes sous-marins simulés, virtuels, afin de fournir des expériences de vie riches, sensitives et éducatives, et d’arrêter les spectacles utilisant des animaux vivants » … Mais en vain pour le moment.
Les acteurs occidentaux de cette industrie laissent la Russie continuer à capturer des individus en Sibérie, pour les vendre entre autres à des pays d’Asie de l’Est dont la Chine semble-t-il. Une hypocrisie qui permet, sous couvert d’échanges bilatéraux entre les aquariums du monde entier, de continuer le mélange et la reproduction en captivité de cette espèce en toute légalité.
Les actions pour la réintroduction des orques captives dans leurs eaux d’origines sont plus inspirées que jamais aux USA, motivées par l’aventure de Keiko, (Orque du fillm « Sauvez Willy », première orque réintroduite dans la nature). « Keiko a prouvé à quel point il était fort et intelligent en retournant dans son habitat naturel. Malheureusement, l’industrie des parcs marins a qualifié cette tentative d’échec, afin de décourager d’autres réintroductions. Nous avons beaucoup appris sur ses capacités et sur la façon de réintroduire un orque en captivité… »
La captivité est un souci majeur pour Howard Garrett, qui en a fait un projet prioritaire « pour ramener Tokitae dans ses eaux natales depuis le Miami Seaquarium où elle est détenue depuis 1970 […]Elle sait encore qui elle est vraiment, et comment être une orque résidente du Sud. Elle a appris très jeune à faire partie de sa famille, avec sa culture et sa communauté. Son expérience n’est pas oubliée, même après avoir passé presque cinquante ans en tant que prisonnière d’un réservoir à Miami. Quand elle rentrera chez elle, cela lui donnera une chance de retrouver sa vie. Les yeux du monde seront sur elle. Elle sera probablement la baleine vivante la plus célèbre au monde et, dans son habitat naturel, elle deviendra l’icône vivante de la mer de Salish. » Mais même lorsqu’elle sera relâchée une problématique subsiste : la disparition des saumons, l’autre combat de Howard Garrett. Il livre une véritable course contre la montre pour « exiger l’enlèvement de quatre barrages sur le cours inférieur de la rivière Snake, qui ont décimé les populations de saumons dont dépendent les orques résidentes du sud pour leur subsistance et leur survie […] Des milliards ont été dépensés pour la restauration du saumon, et quelques petits barrages ont été enlevés, mais il y a de la résistance à enlever les plus importants, les quatre barrages inférieurs de Snake River ». Ce sont ces barrages restants, les plus massifs qui génèrent le plus de dégâts par le manque de nourriture mais aussi en détruisant l’environnement et l’habitat naturel.
Ce passionné émérite nous rappelle les caractéristiques qui rendent cet animal unique dans le règne animal sous-marin.
« Leurs niveaux de culture collective et de cohésion sociale n’ont pas d’égal et reste une énigme dans la faune sauvage que nous connaissons. Selon Rendell et Whitehead (2001), les cultures vocales et comportementales complexes et stables des groupes d’épaulards (Orcinus orca) semblent n’avoir aucun égal en dehors des humains et représentent une évolution unique de leur facultés culturelles. Ou qu’elles soient, les orques sont à la fois robustes et résilientes après plus de 10 millions d’années en tant que prédateurs absolus des mers. Rien ne semble atteindre un orque. Avec leur taille immense, leur agilité et leur travail d’équipe légendaire, ils sont sans peur. »
Avant de conclure : « Il y a beaucoup de signes indiquant que les gens commencent à apprendre et reconnaissent l’intelligence et les droits des cétacés ».
L’engagement de Howard Garrett est inspirant pour bon nombre de professionnels et de passionnés de la faune et la flore sous-marine. Il fait partie de ces acteurs et spécialistes qui agissent au quotidien et dans la durée pour la conservation des espèces menacées que nous voulions mettre en avant. Nous tenons particulièrement à remercier ce chercheur humble et disponible devant notre approche, et pour sa confiance.
Entretien réalisé par correspondance les 9 et 10 avril 2018 – Quentin Hoerner
Pour plus d’informations sur Howard Garrett et son association : www.orcanetwork.org