Échouages des Cétacés: tout savoir!
Mystérieux, inquiétants et parfois révoltants, les échouages de baleines, dauphins et autres mammifères marins semblent foisonner partout dans le monde, sans qu’aucune information publique ne soit formalisée de manière approfondie. Malgré le désintérêt empirique des gouvernements, des chercheurs et des mouvements se penchent sur ces phénomènes.
Les échouages de cétacés représentent un support de recherche précieux pour la communauté scientifique mondiale. Chaque animal récupéré fait l’objet d’un suivi, lorsque son état le permet, pour comprendre l’origine de sa mort le cas échéant, et approfondir nos connaissances sur l’animal et sur son environnement. En France par exemple, les analyses sont commanditées et compilées par le Réseau National Échouage, depuis 1972. Cette base de données enregistre la distribution géographique des espèces retrouvées, l’évolution de leur population et de leur démographie ainsi que les causes de mortalité.
Les causes sont identifiées, pour la plupart, de manières incontestables, et viennent souvent briser les alibis qui laissaient croire que ces animaux étaient des victimes de courant trop fort, de tempêtes, ou bien de marées descendantes trop rapides. Ces accidents sont souvent l’occasion d’une mobilisation et d’une solidarité collaborative partout dans le monde, pour remettre les animaux à l’eau dans les meilleurs délais et meilleures conditions, lorsque les animaux sont encore en vie. Ces motifs d’échouages ne concernent qu’une infime partie des animaux morts sur les plages. D’autres raisons plus inquiétantes invoquent clairement certaines activités humaines.
En France, ce sont entre 500 et 1000 individus qui sont retrouvés morts en moyenne par an, contre 600 en Angleterre. Alors qu’à Saint Pierre et Miquelon, les 24 échouages recensés en 2017 relèvent tous d’une mort naturelle, prédation comprise (fuite d’un prédateur piégeant l’animal). Dans les Hauts de France il semble que les 96 marsouins et dauphins retrouvés morts sur les côtes sont majoritairement dues à des collisions, selon Hélène Peltier. La mer de la Manche et la mer du Nord forment une des autoroutes maritimes les plus denses du monde, et l’augmentation du commerce international n’y est certainement pas pour rien, ce qui augmente les probabilités de collisions pour ces mammifères qui doivent revenir en surface pour respirer.
By-catch industriel: Greenpeace estimait en 2005 que ce sont environ 300 000 petites baleines, dauphins et marsouins qui meurent étranglés ou asphyxiés dans les filets. 10 000 cétacés seraient annuellement tués dans les filets de pêche chaque année dans les seules zones de la Manche, Mer Celtique et golfe de Gascogne. En 2017, 800 dauphins morts avaient été comptabilisés sur les plages de France, soit 30 fois le niveau normal d’échouage sur nos côtes. France Nature Environnement et Sea Shepherd, deux ONG militantes, avaient crié au massacre affirmant que 6 500 à 10 000 dauphins étaient sacrifiés tous les ans par les pécheurs français.
Beaucoup de dauphins sont retrouvés avec des traces de maillages sur leur corps, caractéristiques d’un emmêlement dans les filets de pêche. Sur la côte Atlantique les dauphins sont piégés avec les bars qui sont ciblés par les pécheurs. C’est cela que l’on appelle le « by-catch ». Les animaux ne pouvant plus remonter à la surface finissent mort soit en se noyant, soit par s’épuiser. D’autres meurent des suite de blessures causées par la manipulation directe des animaux lors de leur montée à bord des navires (fractures, amputations).
Ces chiffres ont été affinés par l’observatoire Pelagis, qui estime que 82% des dauphins morts en mer finissent par couler. Ce qui conduit à l’estimation très prudente de 3 500 dauphins mourant au large des côtes françaises atlantiques tous les ans. Soit au total 4 400 individus sacrifiés au large et sur les plages.
Il apparait difficile d’évaluer l’impact de cette mortalité accrue sur la population de dauphins. Une réalité non soutenable pour les espèces de dauphins concernés (dauphins communs principalement), qui à terme pourrait disparaitre si la dynamique ne s’inverse pas. Malgré cela, les négociations au sein de l’Union Européenne, pour un durcissement de la réglementation de la pêche au chalut, tendent à l’inverse vers un allègement des normes suite aux pressions exercées par la France et l’Espagne, poids lourds de la pêcherie européenne usant de cette technique. En 2019, France Nature Environnement et Sea Shepherd tirent déjà la sonnette d’alarme face aux 600 échouages déjà dénombrés depuis janvier, et qui semblent définitivement être associés à la reprise de la pêche au bar en Atlantique mais aussi dans la Manche.
La pollution plastique…encore elle ! Les cachalots sont l’exemple typique qui caractérise la pollution plastique (et des autres déchets humains). En 2012 déjà, un cachalot juvénile échoué sur les côtes d’Andalousie avait son estomac rempli de 17 kilogrammes de déchets en tout genre, provenant de serres agricoles des villes d’Almeria et Grenade. Ses intestins contenaient une corde en plastique d’une dizaine de mètre, des pots de fleurs et 30 mètres carrés de bâches extérieures !
En 2016, une trentaine de spécimens s’étaient échoués sur les littoraux d’Angleterre, Belgique, Pays-Bas et Allemagne. 13 d’entre eux avaient des estomacs chargés de filets de pêche, de pièces automobiles en plastique allant jusqu’à 70 centimètres.
Enfin en 2018, au sud-est de l’Espagne, un cadavre a été découvert comportant 29kg de sacs poubelles, de bidon et des filets de pêches.
Ce constat semble devenir un standard chez tous les gros cétacés.
Leur gros estomac se remplit de déchets en tout genre et finit par l’occlusion du système digestif. Impossible alors pour l’animal de régurgiter, ou de s’alimenter. Ces échouages sont le triste reflet de notre société qui concède l’empoisonnement du vivant contre l’économie publique gagnée par le non traitement des déchets.
Jusqu’ici les échouages semblent isolés et accidentels, conduisant à une mort pré échouage (le courant dépose la dépouille sur la plage). Mais que dire des échouages groupés où les individus sont encore vivants au moment de l’échouage ?
Échouages grégaires : La Nouvelle Zélande est un des pays qui connait le plus d’échouages au monde, avec en moyenne 85 échouages par an, principalement individuels. Néanmoins des échouages de colonie entière de globicéphales viennent donner un spectacle dramatique sur les plages, comme le 26 novembre 2018 avec 145 globicéphales, issus de deux colonies distinctes. La moitié des animaux étant déjà morts, le département de conservation local s’était résilié à euthanasier l’autre moitié pour la raison suivante : les globicéphales sont des animaux hyper sociaux qui ne dépendent que d’un leader. Lorsque celui-ci s’échoue, le groupe préfère manifester son soutien plutôt que de repartir vivre au large. Les tentatives de remises à l’eau avec ces espèces ont un effet presque nul, car les animaux reviennent s’échouer à nouveau, même plusieurs jours après, aux côtés de ceux encore échoués ou déjà morts. En cela, le taux de survie après un échouage devient très faible.
La Nouvelle Zélande détient des records déconcertants sur les échouages des cétacés avec 400 globicéphales échoués en 2017. Le troisième plus gros échouage jamais répertorié dans l’histoire de cette ancienne colonie britannique. Le premier étant un échouage de 1 000 cétacés enregistré sur l’Ile de Chatham Island en 1918.
Explication scientifique : Hélène Peltier, ingénieure de recherche à l’Observatoire Pelagis (programmes d’observation et d’expertise sur la conservation des populations de mammifères et d’oiseaux marins) situé à La Rochelle, explique qu’en Nouvelle Zélande, la baie où se sont échoués les animaux serait comme un piège topographique de par la faible profondeur de ses eaux, qui interfèreraient avec les sonars des cétacés, les conduisant à une désorientation fatale. Pourtant ces phénomènes arrivent dans les mêmes circonstances dans des zones géographiques où la topographie est bien différente : non loin de là, ce sont 27 globicéphales et une baleine à bosse qui ont été retrouvés morts sur les plages de l’état de Victoria, dans le sud-est de l’Australie. Un an plus tôt le 15 mai 2016, 27 individus de cette même espèce s’étaient échoués au Mexique, et 45 dans le sud de l’Inde quelques mois plus tôt, sans aucune trace d’activité humaine directe. Au Chili, plus de 20 rorquals ont été découverts à l’extrême sud le 21 avril 2015.
La topographie ne pouvant être scientifiquement retenu comme facteur commun, quel pourrait être le point commun à ces échouages ?
Désorientation (son – oreille interne) : Il est à rappeler deux principes fondamentaux. Le premier étant que le son se propage plus rapidement (jusqu’à 4 fois plus vite) et plus fortement dans l’eau que dans l’air. Le deuxième principe rappelle que pour les cétacés, petits ou grands, l’ouïe est leur sens principal pour s’orienter, sonder ou percevoir leur environnement et communiquer avec les autres individus. C’est abstrait pour la plupart des humains, mais pourtant une simple expérience suffirait à comprendre le niveau de sensibilité : faîtes une nuit blanche après une journée remplie de dépenses physiques; demandez à un ami de partir en voiture en direction du tunnel le plus proche et suffisamment long. Cette expérience prendra encore plus de sens si vous avez une migraine sur un trajet Bourg en Bresse-Genève par exemple; une fois que vous y serez, ouvrez les fenêtres de la voiture, mettez le son au maximum sur une des stations de radio musicale; faites autant d’aller-retour possible pendant plusieurs dizaines de minutes; au bout de 3 ou 4 minutes vous commencerez à comprendre les variations de vibration et de pression sonore, jusqu’à ressentir un niveau de stress qui vous contraindra instinctivement à fuir ces conditions.
Les Japonais ont compris très rapidement que le son pouvait être une arme essentielle pour chasser : à Taiji, les bateaux rabattent les dauphins au large à partir de tiges métalliques qui plongent dans l’eau et sur lesquelles les baleiniers frappent avec un marteau depuis la surface. Ce qui forme un mur de son pour ces mammifères.
Dès lors le bruit devient une nuisance que nous devons re considérer avec la plus grande attention. Notamment avec le trafic maritime, qui pullule littéralement en surface des mers du monde. Et que dire des forages d’explorations pour du pétrole ou du gaz, qui eux aussi saturent les profondeurs dans un rayon gigantesque de signaux sonores déstabilisateur pour tous les cétacés. Ces installations étant souvent situées au large de certains pays, elles deviennent un entonnoir pour tous les cétacés qui s’introduisent entre elles et les côtes littorales.
Ce phénomène touchera probablement les côtes Manchoises et Bretonnes de part les projets de développement de fermes éoliennes en mer dans les prochaines années. Si des efforts innombrables sont produits pour ne pas déranger les écosystèmes durant l’exploitation de ces installations, les périodes de forages et de constructions nuiront incontestablement à la plus grande colonie de dauphins (communs) d’Europe.
Mais une autre source d’inquiétude attire de plus en plus l’attention des chercheurs et des ONG de protection des cétacés. Les sonar militaire et civils !
Sonar Militaire : La chercheuse espagnole Yara Bernaldo de Quiros de l’université de Las Palmas aux Canaries, accompagnée de 20 autres chercheurs, a permis de confirmer que les activités militaires utilisant des sonars à moyenne fréquence venaient mettre en danger les cétacés. Les baleines à bec, championnes de la plongée et détentrice du record de profondeur constaté (plus de 3300 mètres sous la surface), ne s’échouaient presque jamais dans les canaries jusque dans les années 1960. Avec l’avènement de navires dotés de sonars moyenne fréquence (4.5-5.5 kHz) pour la détection de sous-marins, ou mêmes d’autres navires, un accroissement d’échouage a été constaté dans la même zone. De 1960 à 2004, 121 échouages collectifs ont été dénombrés, dont 61 concernant la seule espèce de la baleine à bec. Les soupçons avaient émergé à partir des années 1980, et le lien établi en 2002 après que 14 individus ne s’étaient échoués lors d’un exercice naval de l’OTAN. Résultat des autopsies on ne peut plus surprenant : les cétacés seraient morts d’un accident de décompression. Un syndrome bien connu chez les plongeurs humains. Chez ces animaux ces accidents se vérifient par des saignements aux yeux et aux ouïes. Les traumatismes semblent parfois si puissants, dans les cas de sonar à haute fréquence, que les canaux auditifs explosent dans certains cas.
Mais comment expliquer que ces champions de la plongée se soient hâtés de remonter à la surface au risque que les bulles d’azote ne puissent s’évacuer normalement des tissus et des vaisseaux de leur corps, et au risque de créer une embolie ou une détérioration des organes ? La réponse tiendrait à la plus grande simplicité : Une activité sonore et vibratoire créant un stress inhabituel et une réaction de peur, de fuite, qui viendrait altérer tout jugement rationnel.
Depuis l’Espagne a été le seul pays à avoir adopté un moratoire encadrant le déploiement des sonars militaire à forte intensité dans les Canaries, conduisant à un hasardeux résultat : aucun échouage constaté dans cette zone depuis lors.
En Nouvelle Zélande l’impact sonore et des sonars a été reconnu comme étant l’origine principale des échouages de ces dernières années. Les sonars de l’US Navy dépassent aisément les 200 décibels (de quoi rompre les poumons humains). Pire encore, on a pu enregistrer des vagues sonores de 150 décibels à plus de 300 miles de sa source émettrice. Devant ces observations, l’US Navy a été traduite en justice et contrainte de ne plus utiliser ses sonars à forte fréquence en temps de paix.
Malheureusement ce jugement n’a aucunement fait jurisprudence devant d’autre nations comme la Chine par exemple. Deuxième déception, un accord récent, limite cette restriction pour l’US Navy aux seules zones géographiques du sud de la Californie et de l’archipel Hawaiien. En dehors de ces secteurs, tout est encore permis ! Les sonars à moyenne fréquence entraineraient un mouvement de panique, de fuite, de par leur ressemblance avec les écholocations émises par les prédatrices, les orques, qui les mèneraient jusqu’à l’échouage. Quelles que fussent les puissances de sonars utilisées par-delà les mers, l’impact demeure constant par le manque de transparence inhérent aux activités militaires. De ce fait, il est fort à parier que de nombreux échouages seront à attendre durant les prochaines années vu l’escalade des tensions dans le monde actuellement.
Les risques pour chaque cétacé sont très lourds : Hyper stress, écrasement des organes, déshydrations, hausse mortelle de la température… les conséquences dépassent souvent ce que nous pouvons voir de nos propres yeux.
Quelles solutions permettraient d’endiguer ces drames pour ces animaux ?
Face à autant de récurrence d’échouages, un déploiement de structures est apparu en Nouvelle Zélande, comme pour répondre de cette problématique. Deux structures surveillent en permanence les côtes pour intervenir dès qu’un incident est détecté : Orca Research Trust fondée en 1992 par la mondialement connue Ingrid Visser et le Project Jonah New Zealand fondée en 1974. Ces deux organismes ne permettent pas de stopper les drames, mais d’y répondre le plus rapidement possible.
Les cadres réglementaires législatifs allant plus dans la direction des intérêts financiers que dans celle des intérêts d’écosystème, il n’apparait alors qu’une seule source d’espoir prometteuse. Une alternative qui viendrait maintenir des activités humaines que nulle ne voudrait voir contraintes. Un « plug-in » qui allégerait les consciences des moins cyniques. Car notre société préfèrera toujours un compromis, palliatif à notre déni, plutôt que de changer des pratiques destructrices.
En cela l’accessoire plébiscité est un boitier appelé « Pinger », à la fois balise et répulsif acoustique pour cétacés. Il peut être utilisé en amont des bateaux, comme sur les chaluts déployés en mer. Ce gadget permettant aussi de redorer la pêche aux chaluts, présente cependant plusieurs failles. Moralement ce « Pinger » est un témoignage d’une limite intellectuelle contrainte par l’avidité et une arme non éthique dans une compétition prédatrice maintenue par l’homme : non seulement il va exclure des animaux de leur zone de vie et de chasse, leur promettant la famine sur le long terme, mais en plus il va renchérir le niveau de pollution sonore avec des impulsions sonores équivalentes à celles émises par un avion à réaction (190Db), dans des zones déjà fortement saturées.
Cela n’a d’autre but que de protéger le butin des grosses sociétés qui veulent s’assurer leurs prises sans être concurrencées par ces mammifères (les phoques sont également concernés). Pour finir en plus d’être chers, lourds et non rechargeables, ils n’apparaissent réellement efficaces que sur les marsouins au détriment des autres espèces. Ce n’est donc pas une solution multi-espèces.
Avec la diminution de stock de poissons dans le monde entier, l’humanité toute entière s’érige en compétiteur face aux autres prédateurs marins pour mettre main basse exclusive sur cette source de protéine. La peur de manquer de cette ressource permet de justifier à elle seule toutes les pratiques qu’aucune association, qu’aucun gouvernement ne pourrait raisonner. Une simple rotation des zones de pêches sur des cycles de 2 à 3 ans, permettraient de consolider la reconstitution des stocks, et de ne plus rentrer en compétition avec ces dits concurrents. Ces sanctuaires seraient propices aux développements d’un écosystème autonome et préservé de toute nuisance humaine, dont la déprédation qui contraint certains prédateurs à venir cueillir les poissons sur les lignes de pêches et dans les filets.
Ces êtres vivants, sensibles et intelligents, qu’on le veuille ou non, sont en train de nous envoyer un signal de plus en plus fort, et pourtant inaudible pour la majorité, car ils s’appuient sur des valeurs non visibles : l’atrophie de leur espace de vie au profit de l’expansionnisme des activités de l’Homme, sans limites, à l’image de sa bêtise.
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Crédits Images: Liz Carlson & Science et Avenir