SULUBAII : LA RÉVOLUTION DU CORAIL
Dans la série des acteurs qui font la différence, il en est un qui est devenu aussi incontournable qu’innovant dans son action si précieuse pour la préservation de l’environnement marin, ici nommé la Fondation Sulubaaï !
Durant la période de confinement liée au Covid-19, son fondateur, Frédéric Tardieu, nous a partagé son parcours, ses découvertes et de son engagement depuis l’île de Pangatalan, située au nord-est de l’archipel des 1 200 îles de Palawan, où la fondation a pris racines depuis 2011. Aujourd’hui constituée d’une équipe de 16 personnes, la fondation œuvre pour la restauration des écosystèmes en se concentrant sur leur clé de voûte : les coraux !
Après une carrière entrepreneuriale remarquable dans l’immobilier, ce marseillais est parti à l’aventure aux Philippines pour répondre à un besoin de changer de vie et retrouver un environnement foisonnant de végétation: le retour aux sources. C’est en famille qu’il décide de s’implanter sur cette petite île délaissée qui aura su le séduire… dans un premier temps.
Durant les 5 premières année, Frédéric repart de zéro. Il s’attache à refaire tous les enrochements de son île, à replanter 68 000 arbres et plus de 3 hectares de mangroves, soustrayant au passage plus de 2,5 tonnes de déchets. Puis après avoir construit une maison zéro carbone avec des matériaux recyclés localement, il prend conscience de la dégradation des récifs qui entourent son nouveau territoire, fortement impactés par des pratiques de pêche illégales: les populations locales utilisent la dynamite artisanale avec des bouteilles de bières pour survivre face à la prédation des super-chalutiers qui entrainent une pénurie de poissons et la destruction des fonds marins d’une part, puis l’utilisation du cyanure pour endormir les poissons qui seront revendus aux aquariums. « Le cyanure, c’est comme l’eau de javel dans l’eau de mer : les coraux blanchissent et meurent en 10 secondes ! On s’est retrouvé avec un récif détruit, saturé de pièges à poisson et de déchets, sans savoir comment agir, et par quoi commencer ». C’est un cas d’école, avec tous les problèmes réunis: le défi est immense, mais pas de quoi le décourager. « Nous n’avions rien à perdre. Nous avons procédé étape par étape », précise-t-il.
Cartographie, inventaire complet des zones dévastées, diagnostics et actions prescriptives, Frédéric pousse sa démarche de réhabilitation de l’environnement en s’entourant de chercheurs, de biologistes et de conservateurs marins. Mais là encore ses équipes font face au braconnage, à la pêche au compresseur et aux «pirates ». Pour protéger et pérenniser le travail de réhabilitation, il n’a pas d’autre choix que de créer une aire marine protégée en recourant au pouvoir publics. L’île de 4 hectares et ses 50 hectares autour seront sanctuarisés. Le calme après la tempête : « on s’est retrouvé avec des fonds pillés et raclés pendant plus de 30 ans. Les poissons qu’on trouvait faisaient à peine 500 grammes et ils étaient terrifiés… puis l’agitation a fortement diminué et le comportement des poissons s’est vite calmé ».
Mais comment remettre cet l’environnement marin en état ? Lui et ses équipes vont se mettre à étudier les procédés des 280 ONG qui travaillent sur le corail. Problème, les méthodes de fixation sont similaires et polluantes : plastique, époxy, ciment, table, colle… Rien de cohérent sur la durée selon lui : « On ne peut pas vouloir faire revenir les habitants du récif en leur construisant des fondations saturées de polluants dispersables ; il fallait récréer la vie dans les couloirs dévastés, mais pas n’importe comment ». Au fur et à mesure des rencontres et des échanges avec certains spécialistes, ils vont développer leur propre approche : « Je n’ai pas envie de faire les choses comme les autres. Je suis arrivé tardivement dans ce milieu, sans avoir aucun background, ni même le cursus habituel. Si j’avais suivi ce que les autres faisaient déjà, cela n’aurait eu aucune valeur. Il a fallu se différencier dès le départ. Nous avons donc inventé notre méthode, car la restauration de corail, c’est comme la cuisine, il n’y a pas qu’une seule recette ! […] On est capable de recréer un joli bocal avec du corail, mais pour y remettre des poissons et la vie, on n’a pas la solution. De plus ces techniques n’ont pas évolué depuis plus de 10 ans. Elles n’ont jamais permis de relancer de développement de ressources halieutiques et de rebâtir un récif de corail disparu. Il fallait penser 0 une approche plus globale. Il faut laisser la place aux nouvelles méthodes, des nouvelles solutions. C’est ce que nous faisons sur notre Pangatalan; nous expérimentons… ».
Preuve en est, leur principe de fixation, simple et peu couteux…. Presque révolutionnaire. Qui part d’un constat amer ! « le point commun de toutes les méthodes de fixation que j’ai pu recenser dans le monde : sur des structures métalliques, sur des dômes, sur des tables, métal, avec des colliers plastiques, de la chambre à air, avec du fil de fer, avec de la colle…. Bref rien de très naturel. Ce n’est pas cohérent avec une restauration éthique. N’importe quel plastique va se déliter et se dégrader avec la salinité et l’ensoleillement. Résultat on saupoudre encore la mer avec du polluant plastique. Idem avec la colle et les produits chimiques. Et quant aux dômes en structures métalliques, ils s’effondrent sous la contrainte du poids des coraux qui se développent rapidement. Cela n’a rien de durable, dans le fond et la forme. Sauf à vouloir n’en faire qu’un coup de pub ! Alors nous ne les avons pas suivi. Mieux nous avons développé des approches nouvelles et moins nuisibles pour l’environnement. Et on s’est rendu compte que le corail était stimulé lorsqu’on le bridait, attachait, ou le coinçait. Avec des tiges de fer nous avons donc simplement exercé une pression sur les boutures de coraux, plaqués sur nos récifs artificiels, les SRP (Sulu Reef Prosthesis) et ils se fixent durablement ». En l’espace d’un mois, le corail aura commencé à envelopper sa structure de manière solide et solide. La SRP offrent également des espaces pour la résilience naturelle, ils y trouvent ainsi des nouveaux points de fixation. Résultat, la structure double sa colonie de corail en moyenne un après avoir été initiée. A ce jour, ce sont plus de 300 structures qui sont suivies de manières régulière, soit 1800 boutures qui sont passées à plus de 3000 en deux grâce la résilience naturelle qui a trouvé sa place sur le SRP.
S’il reconnait que sa force réside dans le fait qu’il possède une île, qu’il n’est donc soumis à aucune conditions ou contraintes quelles qu’elles soient, il encourage les échanges avec les experts de tout horizon. Rares sont les structures privées qui investissent dans la recherche environnementale. Et c’est cela qui semble permettre et favoriser les collaborations et les avancées. Il explique pourquoi il est important de faire la place à des acteurs non issus des parcours académiques : « Il faut toujours un électron libre qui peut décongestionner les formats de pensées traditionnels, mettre à disposition un incubateur qui offre des perspectives de réelles inovations: la seule chose qui compte est d’avoir des résultats. Nous sommes là pour offrir un terrain de jeu à ceux qui veulent avancer dans la recherche ». Tara expédition, Energy Observer, Race for Water, Expédition Gombessa, le CNRS ; tous les chercheurs viennent observer les nouvelles solutions pour la restauration des écosystèmes marins.
Car il ne s’agit plus seulement de restaurer le corail. Frédéric Tardieu a bien compris que cela n’était qu’une étape. Pour lui, il s’agit maintenant de restaurer tout l’écosystème. « La restauration de corail ne peut être un objectif en soi. Vous pouvez avoir le plus bel aquarium du monde, s’il n’y a rien qui bouge dedans, il vaut mieux acheter un tableau. Ce ne peut qu’être une étape vers les autres enjeux de régénération des océans. Ce qui nécessite un recul et un sens d’adaptation aux enjeux. La priorité c’est un tout, un ensemble. Aujourd’hui la disparition des ressources halieutiques a été déclarée par près d’un pays sur trois en Asie. Or la restauration de corail jusqu’alors ne s’était concentrée qu’à reconstituer de la beauté ; c’était du paysagisme mort, des décors, sans protection réelle et sans développer le retour de toute la biomasse. Faire du corail pour du corail ne suffit plus, il est temps de combiner les solutions pour relancer à vitesse grand V le retour à la vie. Pour être cohérent avec le site, avec ce qu’il manque, avec la mer, il faut faire une restauration respectant les conditions d’origine. A nous de développer les solutions pour accompagner les coraux dans leurs dimensions naturelles, qui sont indispensables aux habitats des populations de poissons. Et pas seulement des poissons de récifs, mais l’ensemble des biomasses halieutiques qui y séjournaient, soit passer d’un espace de récif artificiel à un récif naturel ».
Pour s’engager dans cette étape de repeuplement des habitats qu’il rénove, là encore, il va mixer des compétences pour observer les déplacements et l’activité des poissons. Comprendre ce qui ne va pas, comme un peintre qui prend du recul sur sa toile pour comprendre où il en est. A l’aide d’un piège lumineux, ses équipes vont capturer les larves des poissons, avant de les relâcher dans les aires protégées. Il explique la stratégie : « un poisson qui pond 1 million d’œufs dans la nature, ne permet réellement d’obtenir que 10 poissons, qui iront jusqu’à l’âge adulte. La technique permet de capture environ 150 larves de poissons chaque nuit par piège. Nous sommes en mesure ensuite de les trier par espèce et par période de pontes pour les élever pendant 3 mois en laboratoire tout en entretenant leur nature sauvage. Notamment avec une alimentation que nous allons chercher dans la mer. Après cette première période, à l’état de juvénile, on les relâche dans les réserves marines. Mais nous anticipons le drame commun de toute réintroduction dans la nature de juvéniles issus de l’élevage : un carnage. Il a fallu comprendre qu’un poisson a une activité sonore non négligeable, qui attire ses prédateurs et pour palier , augmenter le taux de survie, on intègre dans les fermes d’élevages, les mini-abris qui seront grandeur-nature dans leur espace naturel. Et ce qui est fascinant c’est qu’à partir du moment où un prédateur arrive, les juvéniles se mettent en sécurité dans les abris. On se retrouve maintenant avec des poissons de grandes tailles, des raies aigles, des poissons napoléons qui viennent dans notre aire marine protégée. Et ce n’est qu’un début ».
Ce procédé permet de réduire le taux de mortalité de manière significative, ce qui est crucial sur un programme de réintroduction de 50 000 poissons chaque année. Sachant que chaque poisson devient adulte en 3 ans et se reproduira une fois dans cette période. C’est une solution qui permet un croissance exponentielle.
Cette approche atypique est convoitée aujourd’hui par plusieurs pays d’Asie qui s’inquiètent de voir disparaitre la base de leur alimentation générale. Mais l’ancien entrepreneur refuse d’en faire une opportunité financière. Au contraire, il va surtout se concentrer sur un tour de force qu’aucun autre acteur de la restauration n’a jamais réussi. Convaincre les populations locales de prolonger l’expérience en autonomie. « Il a fallu créer et expérimenter pour pouvoir montrer les résultats. Car seuls les résultats comptent pour convaincre. En privatisant l’aire marine protégée autour de notre île et en lançant nos actions de restauration sur notre terrain, nous avons pu créer les illustrations pour persuader les communautés autochtones. Les preuves sont visibles: une vingtaine de poissons de 2 kilos au mètre carré ! Notre vidéo a été présentée aux élus et a rapidement permis de discuter avec les pêcheurs afin de les impliquer dans ce modèles de résilience des ressources halieutiques. Avec nos résultats, 3 villages ont accepté la création d’aires marines en appliquant nos méthodes avec la création d’emplois deurveillances et de maintenances. En Asie du sud-est, 3 pêcheurs permettent de faire vivre un village de 500 habitants. La protection donc vitale ».
Les témoignages des anciens vont dans son sens; « dans le passé, les anciens récoltaient 20 kilos de poissons en 3 heures, et aujourd’hui c’est 3 kilos de poissons en 20 heures. C’est le fruit de leur non compréhension des cycles de reproduction et de développement et des massacres des bateaux usines qui persistent ici ». C’est un véritable partenariat que Frédéric Tardieu a su développer avec les familles locales. « Vous avez la ressource, et nous vous apporterons de quoi l’exploiter », a-t-il argumenté. Ce qu’il a prouvé notamment avec une espèce très invasive car il n’a plus de prédateur naturel. Le poisson lapin. Il est élevé comme les autres juvéniles, mais non réintroduit en milieu naturel. Il est alors mis en élevage par les villageois. Ses propriétés culinaires sont prisées par les asiatiques. En somme, une sécurité alimentaire qui augmente la qualité de vie pour tous les habitants, avec plus de 150 emplois créés.
Une initiative modeste qui a pris des proportions nationales voire internationales. Au-delà de l’adoption de cette approche par les communautés locales, Frédéric Tardieu et la Fondation Sulubaaï ont été mandatés pour suivre la création d’une dizaine d’aires marines protégées identiques dans les 5 prochaines années. Ces aires marines seront connectées entre elles avec des intervalles de moins d’un kilomètre. Cela permettra d’apprendre et de comprendre les migrations pour entre autre adapter les méthodes de pêches. Très fier de son travail, sans se reposer sur ses acquis, Frédéric Tardieu conclue : «Cela va aussi nous permettre de comprendre notre impact sur la mer, et la synthèse de ces procédés sera mise en open-source. Nous développerons l’accueil des universitaires pour expérimenter et multiplier les opportunités de sujets d’études. La mer est un territoire neutre dans lequel tout le monde peut agir. Il faut simplement garder en tête qu’il faut que l’océan puisse se réapproprier ce que tu y fais, et ce que tu y laisses. »
Voila l’illustration exemplaire d’un engagement local, parti d’un sentiment d’améliorer son environnement progressivement étape par étape. Une initiative qui a dépassé l’intérêt personnel d’un homme et qui saurait en inspirer beaucoup d’autres. Ce que nous ne pouvons que souhaiter. Et si c’était vous le prochain ?
BONUS VIDÉO : https://drive.google.com/file/d/149_lU0EY2tO8xStts7nfJxFSlTrm4YPz/view
Crédit photo: Sulubaii Foundation