Navires : les géants destructeurs des océans
A l’heure où la flotte maritime mondiale ne s’est jamais bien aussi portée, à l’heure où la démesure et la course au profit sont de mise, Ambassade des Océans s’est intéressée à la part d’ombre non négligeable que cachent ces géants flottants. Près de 90 000 navires parcourent les océans de la planète tout au long de l’année : cargos, porte-conteneurs, pétroliers, gaziers, ferries ou encore paquebots.
Le fret maritime mondial ne cesse de croître depuis plusieurs années. Il enregistre une hausse de 2,7% en 2017 et les prévisions indiquent une hausse de 3,7% entre 2017 et 2022. 80% des marchandises dans le monde sont transportées par voie maritime, cela représente un peu plus de 10 milliards de tonnes de marchandises chaque année.
L’industrie des paquebots de croisière connaît également une fulgurante croissance. Avec un taux de croissance moyen d’environ 7% par an depuis les années 80, ce secteur est celui qui a le plus progressé sur le marché mondial du tourisme. Des paquebots toujours plus grands afin d’accueillir un maximum de touristes. C’est donc en toute logique que le nombre de passagers a augmenté de 60% en 10 ans : 15,8 millions de passagers en 2007 contre environ 26 millions en 2017. En 2017, le carnet de commande des chantiers navals a battu un record absolu : 26 navires de croisière maritimes et fluviaux ont été livrés aux différentes compagnies à travers le monde, représentant un investissement de 6,3 milliards d’euros.
La pollution maritime
Pendant de nombreuses années, la circulation maritime s’est développée et a perduré sans que personne ne se soucie des conséquences d’un tel trafic. Ce n’est depuis seulement une dizaine d’années que les scientifiques ont commencé à tirer la sonnette d’alarme et à parler de pollution maritime. Selon une étude publiée en 2015 par l’association France Nature Environnement et l’association allemande NABU, la pollution issue des navires affecte sérieusement la qualité de l’environnement marin, et plus particulièrement celui proche des villes portuaires. L’enquête fait apparaître qu’un paquebot à l’arrêt dans un port pollue autant qu’un million de voitures ! Cette pollution est principalement causée par le fioul résiduel, aussi appelé fioul lourd, largement utilisé par les navires qui en consomment environ 200 tonnes par jour. Si ce fioul possède, par son faible coût, un avantage économique certain, le coût pour la planète est lui plus que conséquent du fait de son taux de soufre très élevé et des résidus de métaux qu’il contient.
Une fois brûlé ce fioul rejette du dioxyde de soufre, du dioxyde d’azote et des particules entre 3000 et 3500 ppm (parties par million). A titre de comparaison, une voiture de l’Union Européenne en émet 233 fois moins : 15 ppm. Par ailleurs, en l’absence de paquebot à quai, nous décomptons environ 3000 particules fines entre 20 nanomètres et 1 micromètre au cm3. Cette proportion passe à 6000 au cm3 lorsqu’un navire est en escale et à 200 000 cm3 dans le nuage de fumée s’échappant de chaque bateau. Avec un trafic maritime qui augmente de près de 4% par an, de nombreuses villes portuaires françaises commencent à s’inquiéter fortement de cette sombre expansion, notamment Marseille, Bordeaux ou encore Bastia, et envisagent de refuser l’accès de certains navires à leurs ports.
Mais les particules fines ne sont malheureusement pas la seule cause de pollution des navires. En effet, détail très peu médiatisé, il se produit environ 120 naufrages de grands navires par an ! La raison à cela ? Des bateaux pour la plupart mal entretenus qui finissent par couler dans nos océans ou sur des rivages de pays peu médiatiques. La résultante de ces naufrages est l’apparition d’immenses marées noires pleines de fioul qui ont généralement lieu en haute mer loin des caméras. Il existe aussi les marées blanches, celles que l’on ne voit pas et qui sont pourtant toutes aussi destructrices, causées par les dégazages qui permettent de nettoyer les moteurs, les cales ou encore les ponts. Chaque jour, 5000 tonnes de produits toxiques sont déversés dans la mer. Certains cargos transportent des substances si toxiques que tout accident reviendrait à détruire l’équivalent de la Méditerranée ! A titre d’exemple, le Sanchi, cargo iranien qui transportait 136 000 tonnes de pétrole, a sombré le 06 janvier 2018. Ces milliers de tonnes de pétrole gisent désormais au fond de l’océan représentant une catastrophe écologique majeure pour la mer de Chine orientale, qui mettra des décennies à s’en remettre. N’oublions pas aussi la pollution sonore qui a un impact environnemental fort sur certains animaux marins et que nous développerons un peu plus loin dans cet article.
Les conséquences de ces pollutions
C’est inévitable plus nous polluons, plus nous agissons sur l’effet de serre et donc plus nous accélérons la fonte des glaces. D’ici 2050, nous estimons qu’il n’y aura plus aucun glacier dans le monde. Cela transformera radicalement la carte topographique actuelle des océans et de nouveaux axes maritimes émergeront permettant ainsi aux navires pollueurs de continuer à étendre leur aura macabre.
La faune et la flore maritime sont bien évidemment également touchées par la pollution des navires. Les émissions de dioxyde de carbone détruisent les récifs coralliens. Cela entraine une acidification des océans qui altère l’équilibre nécessaire au développement de la vie, comme les coraux. Par ailleurs, de nombreuses espèces marines sont déplacées par les navires (aspirer et expirer lors des ballasts et des dégazages) générant parfois des désordres dans l’équilibre des chaînes alimentaires, comme la rascasse venue de l’Océan Indien, qui dévaste aujourd’hui la mer Méditerranée. Ces espèces invasives sont devenues les responsables de plus de 42% de l’extinction d’espèces aquatiques sur la planète.
Nous vous parlions plus haut de pollution sonore. Les navires avec leurs énormes moteurs et leurs hélices gigantesques font beaucoup de bruit dans l’océan. Cela génère de très basses fréquences comparables à 100 fois le bruit d’un réacteur d’avion. Or, de nombreux animaux marins communiquent par le son tels que les dauphins, les baleines ou encore les orques. A cause de cette nuisance sonore, les animaux perdent leurs repères et sont complètement désorientés. A titre d’exemple, l’habitat acoustique de la baleine à bosse a été réduit de 90%. Cela explique notamment que de plus en plus de cétacés viennent s’échouer sur les plages du littoral.
La vie sous-marine n’est pas la seule à être touchée par la pollution des navires. Les êtres humains le sont également. Nous décomptons environ 60 000 morts par an imputables à la pollution atmosphérique maritime, tel est le bilan d’une étude de l’Université de Rostock et du Centre de Recherche sur l’Environnement de Munich en 2015. Cancer, infarctus ou encore asthme, les pathologies sont sévères. Les zones d’habitation à proximité des ports sont les plus touchées. Par exemple, à Newark près de New York, 1 personne sur 4 est devenue asthmatique.
Devant l’ensemble de ces constatations toutes plus alarmantes les unes que les autres, nous nous interrogeons sur la réglementation actuelle au sujet de la pollution des navires. Que fait notre gouvernement pour sauvegarder l’avenir des océans ? Et quelles sont les solutions envisagées ?
Que dit la loi ?
D’un point de vue international, il existe la Convention MARPOL qui définit les règles en matière de pollution maritime déterminant ainsi les limites d’émissions de dioxyde de soufre, d’azote et de particules fines. Cette Convention a aussi identifié 5 Zones d’Emissions Contrôlées (ECA) : la Manche, la mer Baltique, la mer du Nord, l’Amérique du Nord et la zone maritime Caraïbe des États-Unis. Dans ces zones, la teneur en soufre ne doit pas excéder 0,1% du fioul. Il est dommage que ces restrictions ne concernent qu’une infime partie du globe, surtout quand on sait que seulement 2% des conteneurs affrétant du pétrole sont contrôlés pour leurs émanations polluantes. Certains armateurs ont même une combine toute trouvée pour échapper aux réglementations : en immatriculant leur navire avec le drapeau du pays de leur choix, comme le leur permet la législation, afin de contourner les contraintes légales de leur pays d’origine.
Au niveau européen, une directive de 2005 a intégré certains éléments de la Convention MARPOL mais la plupart des dispositions restent soumises au bon vouloir des autorités nationales et les amendes encourues sont d’un montant dérisoire.
Qu’en est-il de la France ? Il faut savoir qu’avant 2015 il n’existait aucune restriction en France sur l’utilisation d’un carburant moins polluant pour les navires. Alors que le secteur automobile
est en permanence montré du doigt en matière de pollution, il paraît impensable que rien n’était fait pour les bateaux français. C’était pourtant bien le cas. Rappelée à l’ordre par la Commission Européenne, la France a finalement ratifié l’ordonnance du 24 décembre 2015 fixant la concentration en soufre dans le carburant à 1,5% pour les navires transportant des passagers. Pour les autres bateaux, la limite est de 3,5%. Après le 1er janvier 2020, la limite sera abaissée à 0,5% pour tous les navires.
Les alternatives et solutions envisagées
Certaines alternatives ont vu le jour comme les « scrubbers », des systèmes de lavage des fumées qui réduisent de 90 % les émissions d’oxydes d’azote, de soufre et les microparticules supérieures à 100 nanomètres. Certains paquebots peuvent également être branchés à quai pour éviter de laisser les moteurs allumés et ainsi diminuer leur impact polluant. Malheureusement trop peu de navires sont encore concernés et le branchement à quai demande un investissement très lourd pour les ports.
D’autres solutions plus écologiques émergent comme le fret à voile. La société bretonne TOWT est spécialisée depuis 2011 dans le transport de marchandises à la voile et est engagée dans une démarche environnementale globale. Ce mode de transport permet de limiter considérablement les émissions de Co2. TOWT affiche 185 tonnes de CO2 économisées pour 400 tonnes de produits livrés. Parmi les voiliers-cargos les plus actifs, nous pouvons citer le voilier allemand AVOONTUR, enregistré en tant que cargo commercial et avec plus de 30 ans d’expérience dans le transport de marchandises. Il y a aussi le voilier norvégien LUN 2, construit en 1914 et aujourd’hui manœuvré par le capitaine Ulysse Buquen à travers les mers du globe.
En juillet dernier, l’association France Nature Environnement a décidé de ne pas rester les bras croisés et a proposé d’adopter les mesures suivantes :
– aboutir à la classification de la mer Méditerranée en zone ECA afin d’interdire l’utilisation du fioul lourd ;
– développer les carburants alternatifs au fioul lourd tel que le diesel marin qui est moins soufré ou le gaz naturel liquéfié ;
– installer des systèmes d’alimentation électrique à quai afin d’éviter que les navires ne brûlent du carburant lorsqu’ils sont stationnés dans les ports ;
– mettre en place les meilleures technologies existantes au niveau des cheminées et des machines afin de réduire les émissions d’oxydes de soufre, de particules de toute taille et de dioxyde de carbone ;
– instaurer un bonus/malus dans les tarifs des droits portuaires afin que les navires les plus polluants soient incités financièrement à réduire leurs pollutions ;
– développer les contrôles et mesures de la pollution de l’air : s’il existe des zones censées être contrôlées, les navires les plus polluants sont pour le moment très rarement sanctionnés.
Récemment, une lueur d’espoir a brillé dans la lutte contre la pollution maritime. Ce fut une première en France. La justice a engagé des poursuites contre le capitaine du paquebot l’Azura pour avoir enfreint les normes en matières de pollution atmosphérique. Le capitaine risque un an de prison et 200.000 euros d’amende. La compagnie britannique P&O Cruises, propriétaire du bateau, devra se présenter également au procès qui est prévu en octobre prochain.
Alors laisserons-nous nos océans mourir à cause de l’industrie du capitalisme lancée à pleine vitesse dans une quête sans fin de profit ou encore de l’industrie touristique avec leurs paquebots ridicules de gigantisme, tels que le Allure of The Seas ou le Symphony of the Seas ?
A l’heure où le Ministère de l’Environnement français semble toucher le fond avec la démission de Nicolas Hulot, nous continuons de garder l’espoir de voir apparaître des initiatives encourageant la réduction de la pollution des navires. Il en va de la pérennité de la faune et de la flore maritime et de l’avenir de nos enfants. Ambassade des Océans ne manquera pas de vous tenir informés des avancées dans ce domaine.
Sources :
http://www.europe1.fr/societe/que-faire-contre-la-pollution-des-paquebots-3648524
https://www.facebook.com/artetv/videos/10156419034508945/
https://www.youtube.com/watch?v=R4TbnLZ_3yc&index=8&list=WL&t=31s
https://rutube.ru/video/17084489d6856b8dd2b2ca78d814eaa0/
https://www.fne.asso.fr/actualites/corse-pollution-air-navires-ferry-croisi%C3%A8res-ports
https://www.sciencedaily.com/releases/2018/07/180728083507.htm
http://www.cargos-paquebots.net/Types_de_navires/Types-de-navires.htm
https://www.e-tlf.com/dossiers-tlf/chiffres-cles/