Captivité: les limites d’un sanctuaire pour cétacés
Disclaimer : Le monde de la protection est un milieu où les personnes s’investissent corps et âmes avec une sensibilité qui augmente exponentiellement à chaque annonce de maltraitances, de décès ou d’injustices. Ceux qui sont en actions depuis le plus longtemps, sont ceux qui souffrent le plus et qui ont donc le moins de patience et de tolérance devant l’inaction. Il en est de même devant la critique. Dans ce cadre, peu de débats ont réellement lieu publiquement, car chacun des partis refuse d’être mis en porte à faux devant une société en mal de repères. Ce diagnostic existe pour tout enjeu qui porte sur des sujets émotionnels ou, comme dirait Rousseau, qui touche à la passion.
Pourtant l’échange est crucial et la contradiction est essentielle pour ériger les garde-fous nécessaires à chaque mouvement qui peut entrainer une société, une corporation, une communauté vers la radicalité.
Ces propos sont tenus en vu de préparer les personnes les plus éreintées par la cause de la captivité et qui pourraient se sentir choquées par un discours qu’elles n’ont pas l’habitude d’entendre. Il ne s’agit pas ici de faire changer d’avis qui que ce soit. Simplement d’ouvrir une discussion, un débat avec une vision qui n’est pas souvent relayée par des acteurs de la protection des animaux et des cétacés.
Depuis la loi du 18 novembre 2021, annonçant l’interdiction de détenir des cétacés en France à partir de 2026, les rumeurs se suivent pour annoncer le départ des orques du Marineland d’Antibes vers un pays étranger. D’abord la Chine, puis les Pays-Bas, l’Espagne et enfin le Japon, bon nombre d’ONG agitent la toile et les médias traditionnels sur des spéculations des destinations, jusqu’à parler de transactions entre le Marineland et une énième structure. Une lutte pour la cause animale qui n’en finit plus et qui semble monter en intensité devant la date butoir qui se rapproche inexorablement.
L’impasse de l’anti-captivité.
Face au départ promis des orques devant l’échéance de 2026 imposée indirectement par la loi, sauf dérogation, le Marineland préparerait ses orques aux différentes phases de manutentions et de logistique.
Prises de court en janvier 2021, les associations qui travaillaient à obtenir l’interdiction avaient vu leur échapper 7 dauphins que le parc Astérix avait envoyés en Espagne et en Suède par anticipation de la loi qui sera promulguée en janvier 2022. Elles ont réalisé que les conditions de captivité en France étaient bien supérieures à ce qui étaient pratiqué dans les autres pays.
Malgré cette amer expérience, les associations ont obtenu cette loi le 18 novembre 2021 qui résonne comme l’aboutissement d’un travail fastidieux sur plus d’une dizaine d’années. Frustrées par le délai de 5 ans accordés aux parcs pour se conformer à l’interdiction, elles s’expriment à l’unissons pour tancer cette fois-ci les parcs qui détiennent ces orques et dauphins et qui souhaitent « s’en débarrasser ».
En résumé, le Marineland, blâmé pour la captivité des cétacés, puis contraint de respecter une loi en trouvant une solution pour ne plus avoir d’orques sur le territoire français, donc de les expédier, se retrouve intimé par les ONG qui ont motivé la loi de ne pas faire partir ses épaulards, tout en continuant de subir une baisse d’affluence des visiteurs qui sont découragés et culpabilisés à l’entrée du parc par ces mêmes ONG, et d’accuser la perte d’activité économique qui en découle !
Sanctuaire : Faisabilité !
Tambours battants, les plus médiatiques des organisations anti-captivité proposent une alternative venue d’outre-Atlantique ; la création d’un sanctuaire marin sur le territoire français pour éviter le stress d’un voyage trop long aux orques. Un aller simple Antibes-Brest pour deux orques serait la meilleure option pour garantir des conditions de vie « dignes et respectueuses ».
Les élus bretons s’opposeraient à ce projet au motif que les orques s’attaqueraient aux dauphins de cette zone, espèce protégée iconique localement, faute de meilleurs arguments et d’un peu de culture !
La pertinence d’un tel projet est à remettre en perspective en prenant en considération plusieurs aspects :
Administrativement, la mer, domaine public maritime (DPM) relève de l’état, dont l’autorité est représentée par les préfets de département et de région. Les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) et/ou les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) sont missionnées pour arbitrer les projets d’occupations. Enfin le préfet maritime détient la compétence pour la réglementation, la conciliation des usages et les concessions de l’état sur les espaces maritimes. En bref, « nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public ». Si une association veut entreprendre d’immobiliser un domaine maritime, il lui faudra déposer un dossier et répondre aux différents cahiers des charges de ces différentes institutions. Ajoutant à cela qu’un projet au large de Brest empiétera sur le Parc Naturel marin d’Iroise et nécessitera donc l’aval de l’Office Français de la Biodiversité (OFB). Et nous n’évoquerons pas les autorisations qu’il faudra motiver auprès du ministère des armées quant à l’occupation d’un domaine à proximité d’une base naval sensible. Tout cela avant 2026, vous l’avez compris. « Good luck » !
Environnementalement ce sera un défi technique considérable pour installer un enclos qui s’adapte et résiste aux forces de la nature : un marnage de 7 mètres lors de gros coefficients sur un lapse de temps rapide. Une profondeur moyenne de 25mètres (maximum 36m). La houle peut atteindre plus de 17 mètres renforcés par des vents dépassant les 150 km/h. Un ensemble de conditions qui seules vont éprouver des structures à plusieurs millions d’euros, impliquant une maintenance tributaire de compétences spécifiques et coûteuses. Même sur l’aspect capacités physiques, les deux orques nées en captivité seraient rapidement éprouvées par ces phénomènes naturels, nonobstant les écarts de températures, les variations de compositions biochimiques de l’eau, notamment durant les pics de pollutions terrestres qui se déversent dans la mer ou encore les pollutions aux hydrocarbures qui bombardent la zone avec les activités militaires, de pêcheries, de plaisance. Et la pollution sonore ? Doit-on vraiment l’expliciter ici ?
Vous cernez les nombreux aspects techniques qui nécessiteront des expertises scientifiques supplémentaires (coût et temps en plus) pour motiver le projet, mais aussi pour maintenir une activité de surveillance, sans compter le stress pour les animaux. Cela reviendrait à emmener un schizophrène déprimé dans une boîte à Ibiza, pour se reposer.
Logistiquement il faudra trouver un site qui donne accès à un terrain et des installations annexes nécessaires pour la gestion des stocks de nourriture, médicaments, poste d’observation, locaux pour les professionnels de « dé dressage », vétérinaire, surveillance et sécurité.
Médicalement : cela pose la question de la responsabilité du suivi de santé des orques. Devant tous les risques encourus, la responsabilité de la France étant invoquée par certaines ONG, qu’adviendra t’il lorsqu’une orque mourra ? L’Etat sera automatiquement vilipendé publiquement, à l’instar du Marineland dès qu’elle perd une orque ou tout autre individu animal dans son parc. Au diable les variables organiques et biochimiques que l’homme ne maitrise pas : il faut un responsable. Mais pourquoi serait-ce l’Etat ?
Notons avant de poursuivre, qu’aucun sas d’adaptation n’est prévu avant d’intégrer les orques dans un nouvel habitat naturel, exit l’adaptation et l’acclimations à la profondeur, la température, la turbidité, aux autres espèces, à la salinité etc.
Enfin les ingérences des activités humaines extérieures des plaisanciers, plongeurs, pécheurs surfeurs pourraient occasionner des effractions de l’enclos voire des accidents directs et indirectes, allant de la fuite des orques jusqu’à une interaction mortelle pour l’homme comme pour l’animal.
Tous ces éléments représentent un coût à supporter. S’appuyer sur des financements publics seraient une stratégie de court terme, surtout si les cétacés en question survivent au-delà des temporalités moyennes d’aides publiques sur des projets d’investissements associatifs (5-8 ans). Quand bien même les subventions et autres financements publics ne pourraient couvrir les montants estimés pour des projets d’une telle ampleur. A titre de comparaison, le sanctuaire au Canada est estimé à 15 millions de dollars en fourchette basse, avec un besoin budgétaire de fonctionnement annuel de 5 millions de dollars. Aucun consortium d’associations en France ne saurait supporter ces montants à ce jour de manière indépendante et autonome, malgré toutes les ventes de produits dérivés, de mécénat et de dons privés.
Or pour obtenir des financement publics, l’Etat et ses institutions priorisent les projets qui ont un plan d’autonomie financière à moyen terme. Autrement dit, d’être capable d’avoir un modèle économique qui soit équilibré pour permettre au projet de perdurer une fois que les aides publiques seront terminées.
A moins de trouver des mécènes très généreux et véritablement désintéressés, seules deux voix s’ouvrent pour cela : le sponsoring qui exploitera l’image du projet à des fins marketing, ou l’exploitation du sanctuaire pour accueillir des visiteurs moyennant un droit d’accès à l’instar du sanctuaire pour les Belugas en Islande, pour générer les recettes afin d’entretenir les orques et les coûts inhérents à leur bien-être évoqués précédemment. L’ironie potentielle serait que le sanctuaire se transforme progressivement en « Marineland » devant des enjeux de pérennisation des retombées économiques locales (emplois, tourismes, attraits spécifiques régionaux etc.) voire maintenir l’aura et la réputation des ONG. Ce sera l’ère de la captivité 2.0, avec l’esprit « Jurassic Park » sauce cétacés !
La force du fort et la faiblesse du faible.
Quitte à glisser vers une approche sauvage de la captivité, le Marineland et les autres parcs qui détiennent des cétacés ne peuvent-ils pas être associés ? Ils ont la compétence, l’expérience de suivi, la compétence marketing et la force de réseau. Chat échaudé craint l’eau froide. Après plusieurs années à voir son image ternie par ces ONG, collaborer avec elles est juste inenvisageable. En cela, la mise en avant d’une main tendue par certaines organisations pour inviter les dresseurs à rejoindre le projet de sauvetage des orques semble à la limite de la schizophrénie. Et cela se comprend. Les dresseurs vont perdre leurs emplois et leur motivation à horizon 2026. Pourquoi ne pas avoir proposer une collaboration vers une sortie non conflictuelle au moment des tractations pour la préparation de la loi ? Une posture de médiation est bien moins communicable qu’une posture de complète opposition. C’est comme en politique. C’est une fois que vous êtes en position de rendre des comptes que vous cherchez des alliés, car sans eux vous êtes en possiblement exposé à l’échec de votre projet de loi ou de sanctuaire.
Enfin, puisque la responsabilité de l’Etat est en jeu, comment pourra t’il répondre des potentielles ingérences ou incompétences des organisations qui voudront gérer ce sanctuaire, notamment en cas de fautes de gestions lourdes, de mauvais traitements, d’impayés fournisseurs, de manque de suivi ? Quid de la responsabilité de la mort des animaux ?
Nul ne peut spéculer, mais la question de la responsabilité nécessite une approche plus solide qu’une « bonne intention ».
L’unanimité est réelle. Tout le monde souhaite la fin de la captivité pour ces animaux sous cette forme de spectacle. L’obtention de l’interdiction de la captivité à des fins de spectacle est un coup de force qui a été nécessaire et qui va permettre d’avancer. Plusieurs questions se posent alors sur ce que nous souhaitons en tant que société concernant le sort réservé à ces orques.
Une dérogation à des fins d’études scientifiques et d’éducation populaire pourraient être une solution pour maintenir les orques en métropole, notamment en sous-traitant l’aspect éducatif à des associations de protection des cétacés. Oui, vous avez bien lu : construire une collaboration avec le Marineland et une association experte en cétologie et en vulgarisation scientifique serait une nouvelle voie. Un partenariat associatif, scientifique et privé pourrait relancer l’activité du Marineland pour attirer de nouveau le public pour permettre de financer comme il se doit la prise en charge des orques et leur suivi médical. Mais en l’état actuel des conflits passés, des velléités mais aussi de la posture installée par les associations, envisager un retour en arrière demanderait un discours contraire. Imaginez demain, avec les associations qui ont obtenu l’interdiction de la captivité, inciter le public à se rendre au Marineland pour soutenir la recherche, l’éducation populaire et la conservation des orques sur le territoire français jusqu’à ce qu’elles trépassent. Tout simplement inaudible à ce jour.
Une impasse à accepter !
Une chose est certaine : aujourd’hui le Marineland est dans une situation peu enviable financièrement après les nombreux préjudices subis, et souhaite donc logiquement mettre à terme à cette source d’instabilité. L’Etat quant à lui, n’intercèdera pas deux fois dans la même direction pour des soucis d’arbitrage, mais aussi parce que la situation dure et les doléances des ONG ne s’apaisent guère. En ce sens, il ne serait pas surprenant que l’état temporise à son tour, en occupant les associations à fournir des dossiers et rapports d’études de faisabilité pour créer un sanctuaire jusqu’en 2026, pour laisser le temps au Marineland et à Planète sauvage d’évacuer leurs cétacés. En somme, faire diversion pour se débarrasser de la patate chaude ! Les ONG hurleront au scandale. Mais ce ne sera pas le premier. Le temps fera son affaire.
Que faire alors ? Cette question revient sans cesse chez les personnes sensibles à la condition des orques en captivité. Accepter les conséquences d’une interdiction péniblement obtenue serait d’une sagesse presque stoïque ! Les nier au risque d’être contre-productif ? Accepter que les orques nées en captivité finissent leur vie à nous rappeler que leur présence est une anomalie naturelle dans ces conditions qui aura été une chance de s’en rapprocher pour mieux les connaitre et comprendre qu’elles doivent rester la nature. Un mal pour un bien, et un bien pour un mal.
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